Daniel Leclerc

Propos sur la pratique

»Posté par le 15 mars 2012 in Daniel Leclerc, Technique et pratique | 0 commentaire

     Qui n’a pas entendu dire que la technique n’est qu’un moyen, pas une fin. Elle reste, néanmoins et avant tout, l’outil qui nous ouvrira les portes de l’Aiki. Dès lors, il y a lieu de se demander : « mais puisque la technique n’est pas une fin, quelle est donc la fin de la technique ? » L’Aikido est principalement une pratique corporelle. C’est à travers le corps qu’O’Sensei nous propose de trouver l’harmonie en nous et avec le monde. C’est l’instrument avec lequel nous étudierons le mouvement et entrerons en relation avec l’autre pour finalement percevoir que ce mouvement est celui de l’Univers lui-même et qu’il faut nous mouvoir en accord avec ses Lois, physiquement et mentalement. Dans un précédent article, j’écrivais que l’Aikido se pratiquait physiquement, intellectuellement et émotionnellement. J’aimerais aujourd’hui expliquer ce que j’entends par là. Dans un premier temps, je voudrais préciser qu’il n’existe aucune séparation entre ces 3 aspects de la pratique qui, naturellement, forment un tout. Une pratique seulement physique, ou seulement intellectuelle ou encore seulement émotionnelle générera un déséquilibre qui limitera le pratiquant dans sa progression et engendrera un hyper technicien insensible, un intellectuel pas doué ou un saint béat. En revanche, au cours de notre parcours martial, nous sommes amenés à pratiquer plus sur un aspect que sur les autres ou, pour être plus précis, à nous investir plus, à un moment donné, dans l’un des trois.   La pratique physique Elle est la plus essentielle, la plus concrète, la plus évidente, ce qui ne veut pas dire la mieux comprise car elle est basée sur l’étude des mouvements à la fois de Tori et d’Uke. L’une des premières motivations du pratiquant devrait donc être celle d’acquérir ces mouvements dans son corps. Pour ce faire, ce dernier n’a besoin que d’une seule chose : répéter. C’est en répétant et en répétant les mouvements qu’il apprend comment bouger en accord avec les principes sur lesquels a été fondée sa discipline. C’est seulement lorsqu’il pourra bouger selon ces principes, sans y penser, qu’il commencera à pratiquer Aikido, un peu comme le pianiste qui doit oublier ses doigts pour « interpréter » La Musique. Cependant, oublier ne veut pas dire qu’il n’a plus besoin de la technique mais, plutôt, que ses doigts ont acquis la capacité de bouger naturellement, sans qu’il doive y réfléchir. C’est alors que sa pratique pourra entrer dans une autre dimension, celle qui lui permettra d’oublier son corps, d’oublier la technique. Tant que ses doigts ou sa technique poseront problème, il ne pourra prétendre jouer de la musique ou pratiquer l’Aikido. Évidemment, il peut paraître insensé de prétendre que l’étude technique puisse être oubliée. Effectivement, elle ne l’est jamais réellement et c’est la raison pour laquelle même les plus grands virtuoses répètent régulièrement leurs exercices de base. Il en va de même pour un pratiquant d’Aikido : il ne doit jamais arrêter de pratiquer, de répéter, aussi bien Tori que Uke (la main gauche et la main droite). L’âge ne facilite pas la tâche, notamment pour la partie Uke. Mais à ce niveau également, l’acquisition physique des principes, c’est-à-dire ce que j’appellerais : « la compréhension ou l’intelligence du corps », devrait permettre au pratiquant moins jeune de prolonger sa pratique d’Uke jusqu’à un âge avancé. « L’intelligence du corps » est cet instinct que développe le corps par la pratique ou, plus exactement, par la répétition, et qui lui permet de réagir avant même que le cerveau ait eu le temps de raisonner sur la situation. Les exemples de pratiquants qui sont sortis indemnes d’un choc frontal à moto grâce à l’ukemi ne manquent pas et chacun d’eux pourra témoigner qu’ils n’avaient même pas eu le temps d’y penser que leur corps avait déjà réagi, instinctivement. S’il veut pouvoir continuer à pratiquer longtemps, le pratiquant doit, à un moment ou à un autre, s’interroger sur le mouvement qu’il exécute, sa raison d’être, son but, son sens. En effet, la répétition mécanique d’un geste ne saurait, à elle seule, garantir que le corps sera bien éduqué et « que les doigts se déplaceront sur le clavier d’eux­mêmes ». À cela, plusieurs raisons : 1) Le modèle du mouvement que doit reproduire le pratiquant doit être irréprochable. En général, ce rôle est dévolu à l’enseignant et c’est d’ailleurs sa fonction principale. Mais comment apprendre à bien écrire si le modèle des lettres n’est pas correct ? Il s’agit d’une lourde responsabilité et chacun devrait y réfléchir à deux fois avant de se décider à enseigner. En effet, si le pratiquant reproduit un mouvement incorrect, qui se trompe ? Il est donc indispensable de respecter la...

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Le travail aux armes

»Posté par le 15 mars 2012 in Daniel Leclerc, Technique et pratique | 0 commentaire

  Entretien avec Daniel Leclerc     AJ: Tu travailles beaucoup avec les armes. Pourquoi ? DL : Parce qu’il est impossible de dissocier le sabre du Japon : toute l’histoire des arts martiaux japonais est liée au katana. Si tu veux avoir une chance de comprendre le Budo japonais, tu ne peux pas ne pas étudier le sabre, le Ken. Et O’Senseï n’a pas échappé à la règle : ne dit-on pas de l’Aïkido qu’il est l’art du sabre sans sabre ? Hélas, il n’a laissé aucune didactique et si ce n’était l’effort de Saïto Senseï dans ce sens, l’étude du ken, et des armes en général, aurait déserté depuis longtemps nos dojo d’Aïkido. Pour ma part, ma démarche a été la suivante : retrouver à travers l’étude du sabre les principes qui ont inspiré O’Senseï pour créer l’Aïkido. Cette recherche m’a porté à étudier le Budo classique dont la didactique a fait ses preuves au fil du temps, puisque certaines écoles pré-datent 1600. Cette didactique est parfaitement structurée et conduit progressivement le pratiquant à appréhender les principes qui sous-tendent le Budo japonais. Rien n’est laissé au hasard, tout est prévu, réglé, éprouvé. Tu dois seulement perdre temporairement ta liberté en confiant ta progression à des séries de mouvements que d’autres ont créées pour toi : les fameux Kata, tant décriés. Comme j’ai eu plusieurs fois l’occasion de le dire, ce que j’aime avec les armes, c’est la liberté ; mais le prix de la liberté, c’est le Kata. Ce que j’aime en Aïkido, c’est la liberté ; mais le prix de la liberté, c’est la médiocrité. Cette liberté, tu ne manqueras pas de la retrouver, pour autant que ta recherche soit sincère et ta pratique assidue. Mais rien n’est garanti. Et tu ne manqueras pas de la trouver chez de nombreux élèves de O’Senseï. Qui a pratiqué le ken de Shirata Senseï, d’Arikawa Senseï, de Saïto Senseï, de Kobayashi Senseï, de Tamura Senseï, de Chiba Senseï et autres me comprendra. Mais je ne prétends pas que l’étude de l’Aïkido doive nécessairement passer par les armes : loin s’en faut. L’Aïkido se suffit à lui-même : c’est seulement nous qui n’y consacrons pas suffisamment de temps, ou qui avons cessé d’apprendre… AJ : C’est plus difficile d’apprendre les mouvements aux armes qu’en Aïkido ?… DL : Non, au contraire ! C’est plus facile. Enfin, ne me fais pas dire ce que je ne veux pas dire : plus facile, mais pas plus simple. C’est plus facile, parce que l’on te dit pratiquement comment faire. On te dit : « Pratique et étudie les Kihon et les Kata et tu comprendras les principes qu’ils illustrent ». Dans les Ecoles classiques d’armes, les Kata font office de testament technique et ce sont les pratiquants, par leur travail et leur engagement, qui les font survivre en transmettant fidèlement leur testament. En Aïkido, on te donne des indications, des directions de recherche, des points-clés. Pour autant que je sache, O’Sensei n’avait pas structuré sa didactique et l’on doit la nomenclature actuelle à son fils : Kisshomaru. De ce fait, rien n’empêche aujourd’hui de considérer Ikkyo ou Shiho nage comme un Kata, même si cette affirmation peut en irriter plus d’un. Très schématiquement, deux types de didactique peuvent être définis : Omote et Ura. Quand un menuisier, par exemple, transmet son savoir, l’Omote consistera pour lui à enseigner à l’apprenti comment fabriquer cette chaise, puis cette table, puis cette armoire et ainsi de suite, jusqu’à ce que l’apprenti soit en mesure de reproduire fidèlement le modèle de chaises, de tables ou d’armoires proposé. L’Ura consistera à lui enseigner à quoi servent les outils, comment et pourquoi les utiliser : celuici pour couper, celui-là pour raboter, cet autre pour visser et ainsi de suite jusqu’au moment où l’apprenti pourra transformer un arbre – sa matière première, son Uke – en quoi bon lui semblera qui respectera la nature originelle du bois. A n’en pas douter, les élèves d’O’Senseï d’avant guerre ont reçu un enseignement Ura et ils étaient tous des Budoka parfaitement accomplis. Pour ma part, j’ai choisi d’entrer dans l’Ura de l’Aïkido par les armes (Iaï-do, Iaï-jutsu, ken et Jodo) et je ne regrette pas ce choix. Et Tamura Senseï lui-même m’a toujours prodigué ses encouragements pour persévérer dans cette Voie. AJ : Mais alors, que t’a apporté le travail des armes que tu n’as pas trouvé en Aïkido ?… DL : Disons que le travail des armes a mis en évidence des éléments inclus dans la pratique de l’Aïkido qui ne sont plus ou peu enseignés, même s’il y est fait référence. AJ : Par exemple ?… DL...

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Reïshiki – L’étiquette

»Posté par le 10 mars 2012 in Daniel Leclerc, Histoire et philosophie | 0 commentaire

  PREAMBULE Avant d’entamer l’étude proprement dite du REISHIKI, il ne paraît pas inutile de rappeler la différence essentielle et, pourrait-on dire, existentielle, entre le BUJUTSU, qui constitue l’ART MARTIAL à proprement parler, et le BUDO dont la traduction la plus fidèle serait DISCIPLINE ou VOIE MARTIALE. En effet, bien que chacun d’eux dispose d’un reishiki, leur finalité diffère: pour le premier, le comportement et les gestes sont conditionnés par la nécessité de pouvoir répondre instantanément et efficacement à la moindre menace, au moindre signe d’agression, alors que pour le second, du fait de ses implications non guerrières, le respect de l’étiquette est dicté par des considérations d’ordre essentiellement spirituel. Pour argumenter ce propos, nous empruntons quelques passages du livre de Donn F. Draeger: « Budo classique ». p. 37 à 41 « Le budo classique est né du remplacement de la dénomination « bujutsu » par la substitution de l’idéogramme jutsu: « art » en do: « la voie ». Une telle innovation révélait le désir de l’homme de développer une conscience de sa propre nature spirituelle à travers la pratique de disciplines qui le conduiraient à un état de réalisation de son être, du « soi ». C’est cet objectif qui est à la base de la principale différence entre les disciplines martiales qualifiées de « jutsu » et celles définies comme « do ». A l’origine, le bujutsu, ou art martial, était principalement caractérisé par des implications d’ordre technique. Cependant, durant la période Tokugawa, lorsque les exigences et le besoin des techniques de combat s’estompèrent, s’esquissa la période de « l’art » d’ « abandonner la technique », d’ « abandonner l’ego ». On parla dès lors de « do ». Le sens profond de ce terme fut clairement exprimé par Yagyu Tajima no Kami (1527-1606): « Toutes les armes conçues pour tuer sont néfastes et ne doivent jamais être utilisées, sauf en cas d’extrême nécessité. Si, toutefois, on doit en faire usage, que ce soit uniquement pour punir la malveillance, non pour ôter la vie à quelqu’un. L’entraînement est la première condition pour comprendre ce concept. Il ne s’agit pas d’une simple érudition, mais plutôt d’un passage qui nous conduit dans le lieu où l’on parle avec le maître. Le maître est le Tao, la vérité. » Quand bien même il ait la même base technique que le bujutsu, le budo classique n’a pas été créé pour être au service du guerrier sur le champ de bataille. Quelques formes de bujutsu, mais pas toutes, furent modifiées pour l’entraînement du budo et refaçonnées dans le sens métaphysique. Alors que le bujutsu accentuait l’importance de la forme pour obtenir un résultat efficace au combat, le budo utilise la forme comme moyen pour se perfectionner. L’entraînement en budo, par conséquent, visait des idéaux plus élevés que ceux du bujutsu. En prenant naissance durant une période de paix qui ne nécessitait plus de soutenir l’épreuve du combat, la majeure partie de ceux qui ont contribué au développement du budo estima qu’en renonçant aux finalités proprement guerrières du bujutsu, rien d’essentiel ne serait perdu. … Il faut toutefois comprendre que le budo ne saurait en aucun cas être envisagé comme une sorte de divertissement social, de sport ou encore de méthode pour exhiber une maîtrise de nature esthétique. Il constitue, bien au contraire, un ensemble de disciplines austères qui éprouve et éduque directement le mental et qui s’applique à la vie quotidienne au travers d’un entraînement spécifique et perdurable. En fait, le budo est une méthode concrète qui propose un modèle de comportement pour la vie et l’ « ego ». En entreprenant l’étude du budo comme divertissement ou par caprice, il est impossible d’accéder à la vraie connaissance. Le chemin du perfectionnement de soi requiert temps et sacrifice, et s’en tenir à l’enseignement imparti est plus important que d’être pressé d’y parvenir. Les fondateurs des divers systèmes du budo classique prescrivent une certaine discipline dans le but d’ouvrir les yeux de l’esprit. Une telle discipline s’apparente à une sorte de mysticisme introspectif: il n’est possible d’aborder l’expérience mystique qu’au travers une participation, une implication directe. La règle de l’implication personnelle, à laquelle obéissent toutes les disciplines classiques, ne souffre aucune exception. Le budo classique révèle son sens seulement à ceux qui s’adonnent corps et âme à un entraînement rigoureux. Pour les autres, « la voie » ou « do » – « le feu de la vérité » – ne les consumera pas et restera à jamais fermée. Mais également pour ceux qui y sont déjà entrés, beaucoup d’années d’entraînement stoïque seront nécessaires pour appréhender le vrai sens du budo classique. Les pères du budo classique considèrent que la forme est une force active de la vie quotidienne de l’homme. Ils ont choisi et adapté quelques aspects de la forme développée en priorité par les bushi traditionnels...

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Le rôle de l’Uke en Aïkido

»Posté par le 7 mars 2012 in Daniel Leclerc, Technique et pratique | 0 commentaire

UKE, celui qui chute dans la pratique d’AIKIDO, par opposition à TORI qui exécute la technique, joue un rôle essentiel dans la didactique martiale en général et japonaise en particulier, tout du moins pour ce qui concerne les disciplines qui enseignent les formes de combat face à face à un adversaire. La cible n’a pas moins de valeur en KYUDO, par exemple, mais ne remplit pas les mêmes critères. Ce rôle est bien souvent méconnu ou mal compris, pour ne pas dire déconsidéré, par bon nombre de pratiquants notamment en raison de la fonction passive qu’on lui attribue injustement. Cet article se propose d’analyser ce rôle, sous tous ses aspects, et ainsi permettre au shugyo-sha d’y puiser les éléments susceptibles d’orienter son travail vers une meilleure compréhension de sa ou ses pratiques. Dans un premier temps, nous tenterons de comprendre et d’analyser les raisons qui pourraient justifier cet apparent manque d’intérêt. Puis nous aborderons les différents sens attachés à cet aspect de la pratique. Enfin, nous dégagerons quelques moyens utiles et pratiques pour améliorer notre propre technique à ce sujet. L’un des principaux facteurs qui contribue à mésestimer le rôle d’UKE est d’ordre psychologique , notamment dans les techniques corps à corps, savoir: la peur liée à la chute. Cette peur trouve vraisemblablement son origine dans l’inconscient attaché à l’évolution de l’espèce humaine en général et de chaque individu en particulier, lorsqu’il fait ses premiers pas. Il est communément admis, en effet, que l’espèce humaine est née le jour où un animal s’est dressé sur ses membres inférieurs pour adopter la position verticale. On peut facilement imaginer que cette mutation ne s’est pas réalisée sans douleur et il suffit d’observer, à défaut de se rappeler, les pénibles expériences du bébé lorsqu’il passe de la position couchée à la position assise, puis à quatre pattes pour finalement parvenir laborieusement, par imitation, à se dresser sur ses jambes. Combien de chutes, de plaies, de bosses n’ont-elles pas été durement expérimentées à cette époque de la vie? Elles restent inévitablement gravées dans notre mémoire pour ne laisser subsister qu’une peur viscérale de la chute. Dès lors, l’apprentissage de la chute à un âge où tous les facteurs génétiques liés à l’une des spécificités de notre espèce se sont définitivement établis, revient à entreprendre le même processus à l’envers, ce que l’inconscient refuse d’accepter. Il suffit, pour s’en convaincre, de relever les diverses locutions verbales utilisées dans toutes les langues pour exprimer cette peur. Ne parle t’on pas, en effet: ♦  de la chute d’un empire, d’une monarchie, d’un régime, d’un gouvernement; de la chute d’une monnaie, des cours de la bourse; de la chute de tension, de température, des cheveux; d’une chute d’eau, de neige, de pluie; de la chute du jour, ne dit-on pas: ♦  tomber dans les pommes, des nues, de Charybde en Scylla, etc… ♦  sauter dans l’inconnu, Qui n’a pas entendu sa mère lui dire: «Fais attention à ne pas tomber, tu vas te faire mal!», ou encore: «A force de faire le fou, tu vas finir par tomber!», sous-entendu «te faire mal!». Il semble donc que la chute soit associée, dans l’inconscient collectif, à la douleur, au déclin, au manque, à une déchéance, à une perte d’équilibre physique, mental et social . Il n’est donc pas étonnant, dans ces conditions, que l’homme s’en défie instinctivement. Car il s’agit bien d’un défi, puisqu’en entreprenant l’apprentissage de la chute, le pratiquant va à la rencontre de l’une des peurs inscrites dans ses gènes. Parallèlement à ces peurs liées à ce que l’on pourrait appeler l’inconscient de l’espèce, existent d’autres peurs, plus subjectives, plus personnelles. En effet, il y a un monde entre tomber tout seul , par maladresse, par faiblesse temporaire, par inadvertance, et se faire chuter (on dit plutôt se faire projeter ). Ce monde est l’autre et la confiance relative qu’on lui accorde. Car UKE ne se limite pas à l’UKEMI (communément traduit par chute). Il y a, de fait, une part d’inconnu dans le fait de se placer dans une situation de complet abandon, physiquement et psychologiquement. En cela, on peut abonder dans le sens de ceux qui n’accordent à UKE que le seul droit de mourir. Chuter, c’est effectivement mourir un peu, ou tout du moins avoir la possibilité d’en prendre conscience et d’en accepter l’éventualité. Malheureusement, la mauvaise compréhension du rôle d’UKE, alliée à une certaine rigidité physique – que n’améliore pas les conditions de la vie moderne -, aux hiatus techniques de TORI et sa difficulté à réaliser une technique juste, n’incite pas le pratiquant à renouveler l’expérience de sa propre mort suffisamment souvent pour y trouver autre...

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L’Aïkido est-il un poison ?

»Posté par le 7 mars 2012 in Daniel Leclerc, Histoire et philosophie | 0 commentaire

  « Ce qui est viande pour l’un est poison pour l’autre. » (Proverbe africain) Lorsque, jeune pratiquant, je suivais hebdomadairement les stages dirigés par les Senseï, j’ai souvent entendu Maître Chiba dire que l’aïkido était un poison. À cette époque, cette affirmation relevait plus pour moi du koan que de la raison et c’est seulement bien plus tard que j’en ai mesuré toute la pertinence. S’il est vrai, comme le prétendent les grands sages indiens, que l’humanité est aujourd’hui au crépuscule du kali yuga – l’âge des conflits -, il n’en est pas moins vrai que le système proposé par O’Senseï constitue une réponse concrète à cette situation. Le dictionnaire donne du mot « conflit » la définition suivante : (dérive du latin « conflictus », qui signifie « combat ») opposition, combat, lutte armée ; et la guerre n’en est que sa forme la plus extrême. Mais la guerre, surtout lorsqu’elle est vécue de l’extérieur comme toutes celles qui se déroulent actuellement hors de notre territoire, est perçue au travers du prisme déformant de notre morale – abondamment conditionnée par nos croyances – et nous pensons pouvoir l’ignorer sous prétexte qu’elle ne nous affecte pas directement et personnellement. Cependant, à y regarder de plus près, un conflit, de quelque nature qu’il soit : personnel ou collectif, au travail ou entre amis, en famille ou avec qui que ce soit, est fondamentalement de même nature que la guerre puisqu’il est la conséquence d’une absence d’harmonie. Certes, chacun a son mode propre de réagir ! Mais on attend d’un pratiquant d’aïkido qu’il mette en application ce qu’il a appris dans le dojo pour trouver la solution harmonieuse aux diverses agressions que nous régalent quotidiennement la vie et les autres. De ce point de vue, il est aussi cocasse que triste de constater que les dirigeants de nos fédérations ne parviennent pas à trouver, voire même seulement à chercher, une harmonie entre eux, harmonie qui est pourtant leur raison d’être en tant que représentants d’une discipline qui la prône au niveau de l’univers. Pire ! Ils sont en conflit ! Certes, les statistiques toujours en hausse du nombre de leurs adhérents les confortent dans leur politique d’opposition et ils n’hésitent d’ailleurs pas en s’en attribuer le mérite, comme si cette croissance était le résultat des décisions qu’ils prennent lors de leurs assemblées générales. Pourtant, les premières motivations qui poussent un individu à franchir les portes d’un dojo sont, en général, différentes de celles qui le convaincront, par la suite, de parcourir la longue voie, difficile et incertaine, du budo. Cet article n’a pas pour but de les répertorier toutes, d’une part parce qu’elles sont aussi nombreuses que les pratiquants eux-mêmes et, d’autre part, parce qu’elles restent du domaine de la subjectivité. Mais l’image du « chevalier sans peur et sans reproche », amplement relayée par les romans, les bandes dessinées, les films et autres documentaires dithyrambiques sur les arts martiaux, reste étroitement associée à ces premières motivations et demeure à jamais gravée dans notre inconscient. En aïkido, cette image est d’autant plus vivace dans l’esprit des pratiquants qu’elle est liée à la figure charismatique de son fondateur que certains auteurs n’hésitent pas à présenter comme « un guerrier invincible ».Cependant, si l’Aïkido, ou le Budo, devait se limiter à devenir « invincible », qu’en serait-il du Do, de la Voie, autrement dit de son message spirituel ? La première étape que doit franchir un pratiquant d’aïkido, et de budo en général, est de former son corps physiquement. Les ukemi contribuent pour une grande part à cet apprentissage C’est durant cette phase qu’il expérimente les lois de la gravité, de l’équilibre et du déséquilibre, de la spirale, de la biomécanique, cette liste n’étant pas, selon la formule consacrée, limitative. Parallèlement, ou après quelque temps de pratique, selon le type d’individus, une naturelle curiosité intellectuelle amène le pratiquant à s’intéresser aux aspects culturels de sa pratique. Il accumule dès lors une somme d’informations qui lui permettront de s’insinuer dans l’environnement culturel de l’aïkido au sens large (historique, philosophique, psychologique, mythologique, religieux, mystique, etc., aussi bien occidental qu’oriental), pour ainsi comprendre et vivre davantage sa pratique. Puis, s’il continue à entretenir son corps et à améliorer sa compréhension, il devrait progressivement ressentir « émotionnellement » le sens du concept : « être le centre de l’univers ». Il perçoit que tout tourne autour d’un centre et que l’aïkido est une méthode qui permet de le comprendre, d’abord avec son corps et son intellect, puis avec son esprit. La voie est tracée, sauf qu’en budo il revient au pratiquant de la tracer et chacun peut être tenté, à tout moment et pour diverses raisons, de croire qu’il...

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Entretien

»Posté par le 5 mars 2012 in Daniel Leclerc, Portraits | 0 commentaire

AJ : Quand a commencé ta vie d’aïkido ? DL : Ma vie d’aïkido commence en 1973, à Nancy. Je ne sais pas pourquoi je voulais faire de l’aïkido, mais je voulais absolument en faire. Je pense que ça se rapporte à un souvenir d’enfance : j’ai vu une démonstration d’aïkido quand je devais avoir environ huit ans. Ça m’a tellement fasciné que c’est, je pense, à ce moment-là que j’ai pris inconsciemment la décision de pratiquer l’Aïkido. Je me suis donc inscrit au SHOBUKAI de Nancy dès que je suis devenu indépendant, notamment au niveau de la voiture. Encore aujourd’hui, je ne regrette pas ce choix, parce que j’y ai rencontré un enseignant (Paul Friedrich) et des pratiquants qui ont su me transmettre leur passion pour cet art. Trois mois après mon inscription, je participais à mon premier stage et y rencontrais pour la première fois Tamura Sensei et Tiki. C’est un souvenir plutôt marquant. Le stage se tenait à Belfort, en décembre 1973. Je ne me souviens plus précisément pourquoi, mais nous sommes arrivés en retard et le cours avait déjà commencé. À cette époque, les stages ne se déroulaient pas dans de grandes structures comme aujourd’hui et il y avait beaucoup moins de monde. Bref, au moment où j’ai ouvert la porte pour entrer dans le dojo – il fallait passer par le dojo pour aller au vestiaire –, Sensei était en train de démontrer un mouvement au sabre avec Tiki et ils ont tous les deux poussé un kiaï tonitruant, qui m’a un peu… saisi, c’est le mot juste. Ce n’était pas de la peur, non ! J’ai été saisi comme quand j’entends des grandes orgues, un picotement particulier à la base de la colonne vertébrale. Chaque fois que j’écoute des grandes orgues, j’ai cette même sensation. La cornemuse aussi. Donc mon aventure en Aïkido commence en 73. C’est aussi l’époque où Chiba Senseï commençait à diriger des stages en France, en Belgique, en Suisse. Comme j’étais étudiant et que je disposais d’un peu de temps, la passion et l’enthousiasme aidant, j’ai suivi Chiba Senseï dans tous ses stages. Il m’a appris la chute…, à mon corps défendant. Je me souviens qu’à cette époque, il avait un uke anglais du nom de Mikel. À chaque fois qu’il l’appelait pour démontrer, j’avais mal pour lui. Ce type était littéralement détruit. À l’occasion d’un stage, il s’était « amusé » à compter toutes ses blessures et en avait dénombré 35 ! Mais je ne regrette pas mon apprentissage avec Chiba Senseï qui devait avoir, à cette époque, moins de trente cinq ans, Il était tonique et vigoureux, mais il m’aimait bien. Il me prenait fréquemment comme uke. Avec lui, je « dérouillais ». À l’occasion d’un stage, il a appelé Tiki pour qu’il traduise quelque chose qu’il tenait absolument à me dire : « Dis à ce type qu’il a bon corps pour faire Aïkido. Alors qu’il ne m’oblige pas à le détruire ! ». J’avoue que cette phrase m’a laissé longtemps perplexe et c’est seulement après de nombreuses années que je l’ai comprise, enfin je crois ! Je pense qu’il voulait parler de ma façon de faire Uke, c’est-à-dire la différence entre : subir et accepter. AJ : Quel âge avais-tu en 1973 ? DL : 19 ans. AJ : Donc la première fois que tu as vu de l’Aïkido, cela devait être au début des années soixante. C’était un film ? DL : Non, non ! C’était une démonstration, dans une école primaire à Vandoeuvre, dans la banlieue de Nancy. Je pense que c’est René Trognon qui a fait cette démonstration. Quand je lui en ai parlé, longtemps après, il m’a répondu que ce n’était pas impossible. À cette époque, il suivait Maître Nocquet. Rétrospectivement, je pense que ce qui m’a fasciné est, comment dire… l’esthétique, … c’était beau à voir, élégant, harmonieux. Je ne sais pas si tu as remarqué, mais même de l’aïkido mal fait est beau à voir en vidéo. Je ne pense pas si cela tienne uniquement au costume bien que, sans hakama, l’impact visuel n’est pas le même. C’est, je crois, la gestuelle, l’enchaînement dynamique et harmonieux des techniques qui rendent l’Aïkido aussi esthétiquement attrayant. Rien que pour cette simple et objective considération, l’Aïkido de O’Sensei mérite d’être appelé « art ». Il a créé une discipline chorégraphiquement belle à voir, que l’on soit pratiquant ou pas. J’ai eu cette même sensation la première fois où j’ai vu Tiki pratiquer l’Iaï : j’ai voulu apprendre cette discipline et j’aurais même accepté de mourir pour le faire. Je n’ai, heureusement, pas eu à le faire. Il...

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