Histoire et philosophie

La parabole de l’eau et de la lune

Posté par le 10 avril 2012 dans Histoire et philosophie | 0 commentaire

                  L’une des paraboles les plus populaires que l’on retrouve fréquemment dans le Zen et les arts martiaux japonais traditionnels, est celle de l’eau et de la lune. Dans le Zen, il y a un Koan (un enseignement) qui s’appelle « les deux lunes ». Un jeune aspirant à la prêtrise interroge son maître à propos de l’essence du Zen. Le maître lui signale alors l’eau calme de l’étang et lui demande : quelle est la lune « réelle », celle qui se reflète dans l’eau ou celle qui apparait la nuit dans le ciel ? En essence, ces deux lunes sont le reflet de l’activité des esprits qui perçoivent constamment « deux » réalités : celle du monde tel qu’il nous apparaît et le monde que nous créons dans nos esprits. De grands sabreurs du passé faisaient souvent référence à cet enseignement. Dans les arts martiaux nous apprenons et nous nous concentrons souvent sur ce qui semble être la lune (le reflet dans l’eau) et nous ne percevons pas celle qui se trouve là-haut dans le ciel. Comment savons-nous si la lune est réelle alors que nous ne pouvons pas même la toucher ? Est-ce la même illusion pour les deux lunes, celle qui se trouve dans le ciel et la lune reflétée dans l’eau ? Dans le Zen, l’esprit doit être vide pour recevoir tout ce qui se trouve autour de lui sans apriori. Dans les arts martiaux cela veut dire appréhender l’adversaire et l’attaque tels qu’ils sont réellement et non tels que nous les percevons. Yagyu Renyasai, l’un des plus grands sabreurs du japon féodal fut un maître de l’école de l’épée de Yagyu Shinkage Ryu. Yagyu fut le fondateur de cette école et l’instructeur personnel du premier Shogun, Tokugawa Ieyasu. Renyasai devint l’héritier du Owari, une branche du Shinkage Ryu. Il ne se maria jamais et consacra sa vie entière aux arts martiaux. Outre sa réputation de grand sabreur, il était aussi un expert de la cérémonie du thé et un poète. Il existe beaucoup d’histoire et de légendes sur lui et sur sa réputation qui apparaissent souvent dans les films de Samouraï. Yagyu Renyasai était extrêmement intéressé par la conception d’une arme parfaite pour le combat. Il fit appel à une multitude de forgerons. De ses conceptions personnelles on a gardé la Yagyu Koshirae, la monture du sabre telle qu’il la dessina lui-même, et le Yagyu, la garde.Seules quelques-une d’entre elles furent forgées par lui et il céda la plupart à ses élèves les plus remarquables. Elles sont extrêmement rares aujourd’hui. Les collectionneurs d’épée japonaise essayent désespérément de trouver l’un ou l’autre exemplaire et paient des prix exorbitants pour les conserver. Il est rare qu’un sabreur puisse concevoir et fabriquer ces propres gardes, mais le phénomène n’est pas tout à fait inconnu. Un autre sabreur fameux dans ce domaine fut Miyamoto Musashi qui fabriqua quelques gardes pour son propre usage avec Togo Jui, le fondateur d’une autre école de sabre célèbre : Jingen Ryu. Les gardes de Yagyu sont peu usuelles et chacune d’elle exprime un enseignement secret de l’école Yagyu Shinkage Ryu. Renyasai aimait beaucoup la représentation de la parabole de l’eau et de la lune et il l’utilisait fréquemment dans ses gardes. L’un des rares exemples est celui que nous vous présentons ici. Entre les vagues on peut voir le léger dessin de...

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Vaincre sans combattre (interview Toshiro Suga)

Posté par le 11 mars 2012 dans Histoire et philosophie, Toshiro Suga | 0 commentaire

Toshiro Suga est un maître d’Aïkido à part. Dans une discipline où beaucoup parlent d’efficacité plus qu’ils n’en font preuve, il démontre un Aïkido à la puissance redoutable. Formé au Japon à l’Aïkikaï de Tokyo il recevra l’enseignement du fondateur et de ses plus proches disciples avant de venir diffuser l’Aïkido en occident. Son savoir encyclopédique lui permet de mettre en lumière la logique sous-jacente des techniques. Spécialiste reconnu du travail des armes de l’Aïkido, nous l’avons rencontré pour vous à l’occasion de la sortie d’un DVD qui fera date. Interview avec un maître au franc-parler et à l’humour indéniables.   Quand avez-vous commencé à pratiquer l’Aïkido ? J’ai commencé l’Aïkido le 16 février 1968. Je voulais aller au cours d’Osenseï de 6h30 à 7h30 mais malheureusement d’importantes chutes de neige paralysaient les transports et je n’ai pu me rendre qu’au cours de 15h. Je suis allé à cet horaire pendant un an et demi. Osenseï enseignait de 6h30 à 7h30 mais il revenait toujours pendant le cours de 15h. J’étais jeune. J’avais 17 ans et avec certains de mes camarades on n’aimait pas tellement que Osenseï vienne à notre cours parce que cela signifiait que nous allions rester longtemps en seïza. Nous restions immobiles pendant de longs moments à observer et écouter Osenseï. Nous étions jeunes et nous voulions bouger donc le moins qu’on puisse dire est que sa venue ne nous excitait pas particulièrement. Et je crois que certains maîtres partageaient ce point de vue… (rires). Aujourd’hui je suis vraiment heureux d’avoir vécu ces instants-là, les derniers moments d’Osenseï, mais il ne faut pas cacher nos sentiments de l’époque. Ceci dit, malgré notre envie de bouger nous regardions tout de même sérieusement et avec le plus grand respect. En fait, à l’époque nous croyions que Osenseï était immortel et nous ne comprenions pas à quel point ces moments étaient précieux. Je le vis presque quotidiennement pendant un an jusqu mois de février 69. A partir de là et durant les deux derniers mois de sa vie il souffrait trop pour pouvoir monter au dojo… (Note : L’Aïkikaï est un immeuble de quatre étages et le dojo principal se trouve au deuxième) Aujourd’hui je comprends à quel point j’ai eu une chance merveilleuse et je chéris tous les souvenirs que j’ai d’Osenseï. Sa présence magnétique, son aura extraordinaire, sa voix si claire. Et son Aïkido si pur… Beaucoup de pratiquants aujourd’hui n’ont vu Osenseï qu’en portrait. Ils n’ont souvent même pas vu les rares vidéos de ses démonstrations. Ils en entendent parler mais il n’est qu’une image très vague. Sa voix, ses mouvements me restent et je suis vraiment reconnaissant d’avoir eu cette grande chance.   La pratique d’Osenseï a évoluée durant toute sa vie. Quelle est l’époque que vous considérez comme son apogée ? C’est une question très difficile. Je n’ai vécu que sa dernière période et ne connaît les précédentes qu’à travers les films, les livres et les témoignages de ses élèves de l’époque. Mais je pense que comme pour tous les grands créateurs chaque moment est aussi riche et intense. Sa dernière année fut sans doute celle où son enseignement fut le plus concentré, allant droit à l’essentiel. Une concentration extrêmement aiguë et des gestes totalement épurés… Osenseï avait du mal à monter au deuxième étage à l’époque...

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Le combat contre soi-même (interview Toshiro Suga)

Posté par le 11 mars 2012 dans Histoire et philosophie, Toshiro Suga | 0 commentaire

    Toshiro Suga est un personnage hors-normes dans le monde des arts martiaux. Après avoir étudié auprès du fondateur et des plus grands maîtres de la discipline il est venu à son tour diffuser le message de l’Aïkido en occident. Réputé pour la puissance de ses techniques, son franc-parler et son humour très direct, il nous livre à l’occasion de la sortie-évènement de son nouveau DVD sur le jo quelques réflexions sur le travail des armes, le sens de la pratique et Moriheï Ueshiba. Senseï, vous avez étudié l’Aïkido à l’Aïkikaï auprès de Osenseï et des plus grands experts. Avec qui en particulier avez-vous étudié le travail du jo ? Le système de cotisations qui est aujourd’hui en vigueur à l’Aïkikaï était déjà le même à la fin des années soixante. Il y a la cotisation mensuelle qui couvre tous les cours du lundi au samedi, et une cotisation qui couvre ceux du dimanche. Lorsque je me suis inscrit j’ai commencé avec la cotisation simple et je pratiquais quotidiennement à l’exception du dimanche. Lorsque je suis devenu 2ème dan j’ai commencé à venir le dimanche aussi. A cette époque maître Saïto enseignait le dimanche à l’Aïkikaï, notamment le travail des armes. C’est avec lui que j’ai appris les bases. Mais le cours de maître Saïto durait depuis plusieurs années et la plupart des élèves pratiquaient avec lui depuis longtemps. Il n’y avait pas de cours débutants et j’ai eu beaucoup de mal à suivre. Heureusement un de mes sempaïs m’a aidé à étudier le kata 31. Lorsque je suis arrivé en France je ne connaissais donc quasiment que le kata 31. Par la suite c’est avec maître Chiba et maître Tamura que j’ai eu la chance d’étudier les armes. J’ai aussi regardé très souvent les vidéos de maître Ueshiba. Je ne pouvais pas me lasser de regarder encore et encore ses merveilleuses techniques. J’ai ensuite travaillé passionnément afin de polir ma technique et aujourd’hui je crois que mon travail au jo est le fruit de l’enseignement précieux de ces maîtres et de mes recherches. Y a t il d’après vous des différences entre la technique au jo de maître Ueshiba, de maître Tamura, Chiba et Saïto, et si oui lesquelles ? Je crois que leur travail est un peu différent. C’est dû à leurs morphologies. Leurs morphologies et leurs capacités physiques sont différentes et cela a naturellement influencé leur technique. Si on devait les qualifier en un seul mot je dirai que maître Saïto était puissant, maître Chiba rapide et maître Tamura souple. Bien sûr ils possédaient ces trois qualités mais c’est sans doute celle qui les définit le mieux. Cela dit j’ai eu la chance de voir le corps de nombreux maîtres et celui de maître Tamura était le plus impressionnant. Il est âgé maintenant mais dans dans la force de l’âge il possédait un physique extraordinaire. Son corps était à la fois extrèmement souple mais en même temps solide comme de l‘acier. Maître Ueshiba lui possédait à la fois une souplesse et une puissance phénoménales. C’est pourquoi sa technique de lance est plus qu’incroyable. Finalement chacun de ces maîtres a construit sa technique avec ses capacités, son caractère et en fonction de sa morphologie. C’est ce qui les rend uniques. Osenseï avait semble t il des capacités physiques...

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Reïshiki – L’étiquette

Posté par le 10 mars 2012 dans Daniel Leclerc, Histoire et philosophie | 0 commentaire

  PREAMBULE Avant d’entamer l’étude proprement dite du REISHIKI, il ne paraît pas inutile de rappeler la différence essentielle et, pourrait-on dire, existentielle, entre le BUJUTSU, qui constitue l’ART MARTIAL à proprement parler, et le BUDO dont la traduction la plus fidèle serait DISCIPLINE ou VOIE MARTIALE. En effet, bien que chacun d’eux dispose d’un reishiki, leur finalité diffère: pour le premier, le comportement et les gestes sont conditionnés par la nécessité de pouvoir répondre instantanément et efficacement à la moindre menace, au moindre signe d’agression, alors que pour le second, du fait de ses implications non guerrières, le respect de l’étiquette est dicté par des considérations d’ordre essentiellement spirituel. Pour argumenter ce propos, nous empruntons quelques passages du livre de Donn F. Draeger: « Budo classique ». p. 37 à 41 « Le budo classique est né du remplacement de la dénomination « bujutsu » par la substitution de l’idéogramme jutsu: « art » en do: « la voie ». Une telle innovation révélait le désir de l’homme de développer une conscience de sa propre nature spirituelle à travers la pratique de disciplines qui le conduiraient à un état de réalisation de son être, du « soi ». C’est cet objectif qui est à la base de la principale différence entre les disciplines martiales qualifiées de « jutsu » et celles définies comme « do ». A l’origine, le bujutsu, ou art martial, était principalement caractérisé par des implications d’ordre technique. Cependant, durant la période Tokugawa, lorsque les exigences et le besoin des techniques de combat s’estompèrent, s’esquissa la période de « l’art » d’ « abandonner la technique », d’ « abandonner l’ego ». On parla dès lors de « do ». Le sens profond de ce terme fut clairement exprimé par Yagyu Tajima no Kami (1527-1606): « Toutes les armes conçues pour tuer sont néfastes et ne doivent jamais être utilisées, sauf en cas d’extrême nécessité. Si, toutefois, on doit en faire usage, que ce soit uniquement pour punir la malveillance, non pour ôter la vie à quelqu’un. L’entraînement est la première condition pour comprendre ce concept. Il ne s’agit pas d’une simple érudition, mais plutôt d’un passage qui nous conduit dans le lieu où l’on parle avec le maître. Le maître est le Tao, la vérité. » Quand bien même il ait la même base technique que le bujutsu, le budo classique n’a pas été créé pour être au service du guerrier sur le champ de bataille. Quelques formes de bujutsu, mais pas toutes, furent modifiées pour l’entraînement du budo et refaçonnées dans le sens métaphysique. Alors que le bujutsu accentuait l’importance de la forme pour obtenir un résultat efficace au combat, le budo utilise la forme comme moyen pour se perfectionner. L’entraînement en budo, par conséquent, visait des idéaux plus élevés que ceux du bujutsu. En prenant naissance durant une période de paix qui ne nécessitait plus de soutenir l’épreuve du combat, la majeure partie de ceux qui ont contribué au développement du budo estima qu’en renonçant aux finalités proprement guerrières du bujutsu, rien d’essentiel ne serait perdu. … Il faut toutefois comprendre que le budo ne saurait en aucun cas être envisagé comme une sorte de divertissement social, de sport ou encore de méthode pour exhiber une maîtrise de nature esthétique. Il constitue, bien au contraire, un ensemble de disciplines austères qui éprouve et éduque directement le mental et qui s’applique à la vie quotidienne au travers d’un...

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Iaï, tachiaï, iaïdo, iaïjutsu…

Posté par le 9 mars 2012 dans Histoire et philosophie, Toshiro Suga | 0 commentaire

    Je vais reprendre aujourd’hui les réflexions sur l’origine des termes que nous utilisons régulièrement dans la pratique par l’analyse de iaï et ses corollaires, tachiaï, iaïdo, iaïjutsu. Je développerai ensuite en abordant brièvement l’histoire du iaï et celle des katakiuchi, vengeances du Japon traditionnel…   Iaï   « Iaï » est un mot composé de deux caractères, « i » et « aï ». Il est lui-même utilisé en combinaison pour former les mots « iaïdo » et « iaïjutsu ». Le premier kanji utilisé dans iaï, i, est composé de deux parties. La partie supérieure symbolise le corps, tandis que la partie inférieure représente une tête ou un crâne couronné, partie évoquant ce qui est ancien. Ce premier caractère évoque aussi l’idée de barrière, une barrière entourant un corps suggère alors ici l’idée… de chaise. Mais si la chaise a été utilisée en Chine depuis plusieurs siècles ce n’est pas le cas du Japon qui ne l’adopta réellement qu’à l’époque moderne. Ce premier caractère utilisé au Japon convie donc l’idée d’être assis mais… par terre. Le second kanji, aï, est le même que celui utilisé pour écrire Aïkido. Une explication de son origine est l’image d’un couvercle sur un trou. Il contient alors des notions telles qu’hermétique, superposition, unité. En Aïkido on insiste beaucoup sur la notion d’harmonie mais ce sens n’est pas si évident lorsque l’on étudie l’origine de ce caractère. En tout état de cause le sens d’unité est bien plus présent que celui d’harmonie dans sa construction. Cela peut aussi nous amener à reconsidérer le sens de notre pratique en intégrant par exemple l’idée de superposer notre ki sur celui de l’autre personne, de l’englober. Il est alors important de revoir l’origine et les différentes significations possibles de ki, terme que nous avons déjà étudié dans un précédent numéro. « Au », qui devient « aï » dans les mots composés, est donc la rencontre, la superposition, l’unité même temporaire de deux choses, deux sabres dans le cas de la pratique martiale.   Tachiaï   Si iaï véhicule l’idée du combat assis, « tachiaï » est son pendant, le combat debout. Tachiaï est aussi composé de deux caractères. Le premier, tachi, représente un homme debout. Le second est le même que le deuxième caractère de iaï. Tachiaï est un terme qui est aujourd’hui surtout utilisé en Sumo et désigne la charge initiale entre les combattants. Il est aussi présent dans le nom de nombreuses techniques martiales, notamment en Daïto ryu.   Iaïdo, Iaïjutsu   Iaï est un terme qui nous intéresse surtout parce qu’il forme la première partie des mots Iaïdo et Iaïjutsu, disciplines que nombre d’entre nous étudient ou ont étudié. Nous avons déjà abordé le, caractère do, qui signifie voie. Jutsu signifie quand à lui technique. La différence entre les budos et les bujutsus est un débat qui occupe les chercheurs martiaux. Je crains que ce soit malheureusement une question sans issue définitive puisque le même mot peut recouvrir des conceptions différentes selon le maître qui l’emploie. Pour simplifier nous dirons que le Iaïjutsu insiste plus sur la finalité technique tandis que le Iaïdo, sans renoncer à la cohérence martiale, porte plus son attention sur le fait d’éduquer l’homme. Techniquement le Iaïdo consiste à dégainer et couper, généralement dans le même geste. Comme nous l’avons vu le terme iaï évoque entre autres le fait d’être assis. Le...

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Gojo, les cinq vertus de Confucius

Posté par le 9 mars 2012 dans Histoire et philosophie, Toshiro Suga | 0 commentaire

  L’influence du Shintoïsme ou du Bouddhisme dans les arts martiaux japonais est parfaitement connue. Par contre, celle du Confucianisme est souvent mésestimée. Toshiro Suga nous révèle aujourd’hui l’importance majeure de cette pensée dans l’histoire japonaise et plus particulièrement dans la caste des samouraïs…   Lorsque la rédaction de Seseragi m’a demandé d’expliquer quelques termes utilisés en Aïkido à travers l’analyse de leur kanji je l’ai fait avec plaisir en précisant que mes écrits devaient être considérés comme des pistes et non des vérités absolues. Certains lecteurs ayant été intéressés par ces tentatives d’explications la rédaction m’a demandé de continuer cette rubrique. Je m’attelle à présent à des aspects spirituels et historiques que j’estime liés à notre pratique. Mais je tiens encore une fois à préciser qu’il ne s’agit que de mon interprétation. J’ai consacré ma vie à l’Aïkido et je suis un pratiquant et non pas un historien ou un philosophe. L’analyse des sujets que je vais aborder sera donc limitée par mes connaissances. Je vous prie donc d’avance de m’excuser pour toute erreur éventuelle et vous conseille d’approfondir vos recherches dans des ouvrages spécialisés si une notion évoquée vous intéresse. Le Japon a connu de nombreuses luttes de pouvoirs entre seigneurs. La plus grande période de guerre civile prit fin en 1615. Dès lors le Japon connut pendant plus de 250 ans la plus longue ère de paix de l’histoire de l’humanité. Mais comment les Tokugawa ont-ils réussi à préserver la paix après cinq siècles de guerre civile ?   Une époque à l’éthique fluctuante   Le Japon a été unifié grâce au combat de trois hommes, Oda Nobunaga, Toyotomi Hideyoshi puis Tokugawa Ieyasu. Ieyasu avait comme tout conquérant le désir de voir se perpétuer sa lignée. Il pouvait pour cela faire appel à la force et l’intimidation et il ne s’en est effectivement pas privé, gardant par exemple les familles des seigneurs dans une situation de quasi-otages. Mais tout déploiement de force amène le ressentiment et porte en lui-même les racines de sa destruction. C’est pourquoi Ieyasu agit subtilement en s’attaquant à la racine du problème, l’éthique des samouraïs. Au Japon l’importance du nom est plus encore qu’ailleurs portée à son paroxysme et un clan ne trouve de signification que dans sa survie. Cinq siècles de guerres acharnées avaient développé un instinct de survie extrêmement puissant et l’on peut dire que la pérennité du clan finit par tout justifier dans cette époque troublée. Les trahisons se succédaient et personne n’y voyait rien à redire dans la mesure où le clan en sortait grandi ou au moins préservé.   Une école de la loyauté   Le confucianisme était arrivé dans l’archipel entre le 3e et le 6e siècle. Cette école de pensée qui devint quasiment une religion en Chine garda son essence au Japon où elle servait principalement à développer l’esprit moral et enseigner la conduite juste qu’un homme devait adopter. Le génie de Tokugawa fut d’élever le Confucianisme en doctrine d’état, soumettant le gouvernement et la société à ses préceptes. Le plus important à ses yeux étant probablement l’interdiction de servir deux maîtres dans une vie… En quelques années le Confucianisme prit une importance grandissante. Tout samouraï s’adonnait à son étude et ses enseignements se propagèrent très rapidement dans la société. Les valeurs confucianistes furent reprises...

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L’Aïkido est-il un poison ?

Posté par le 7 mars 2012 dans Daniel Leclerc, Histoire et philosophie | 0 commentaire

  « Ce qui est viande pour l’un est poison pour l’autre. » (Proverbe africain) Lorsque, jeune pratiquant, je suivais hebdomadairement les stages dirigés par les Senseï, j’ai souvent entendu Maître Chiba dire que l’aïkido était un poison. À cette époque, cette affirmation relevait plus pour moi du koan que de la raison et c’est seulement bien plus tard que j’en ai mesuré toute la pertinence. S’il est vrai, comme le prétendent les grands sages indiens, que l’humanité est aujourd’hui au crépuscule du kali yuga – l’âge des conflits -, il n’en est pas moins vrai que le système proposé par O’Senseï constitue une réponse concrète à cette situation. Le dictionnaire donne du mot « conflit » la définition suivante : (dérive du latin « conflictus », qui signifie « combat ») opposition, combat, lutte armée ; et la guerre n’en est que sa forme la plus extrême. Mais la guerre, surtout lorsqu’elle est vécue de l’extérieur comme toutes celles qui se déroulent actuellement hors de notre territoire, est perçue au travers du prisme déformant de notre morale – abondamment conditionnée par nos croyances – et nous pensons pouvoir l’ignorer sous prétexte qu’elle ne nous affecte pas directement et personnellement. Cependant, à y regarder de plus près, un conflit, de quelque nature qu’il soit : personnel ou collectif, au travail ou entre amis, en famille ou avec qui que ce soit, est fondamentalement de même nature que la guerre puisqu’il est la conséquence d’une absence d’harmonie. Certes, chacun a son mode propre de réagir ! Mais on attend d’un pratiquant d’aïkido qu’il mette en application ce qu’il a appris dans le dojo pour trouver la solution harmonieuse aux diverses agressions que nous régalent quotidiennement la vie et les autres. De ce point de vue, il est aussi cocasse que triste de constater que les dirigeants de nos fédérations ne parviennent pas à trouver, voire même seulement à chercher, une harmonie entre eux, harmonie qui est pourtant leur raison d’être en tant que représentants d’une discipline qui la prône au niveau de l’univers. Pire ! Ils sont en conflit ! Certes, les statistiques toujours en hausse du nombre de leurs adhérents les confortent dans leur politique d’opposition et ils n’hésitent d’ailleurs pas en s’en attribuer le mérite, comme si cette croissance était le résultat des décisions qu’ils prennent lors de leurs assemblées générales. Pourtant, les premières motivations qui poussent un individu à franchir les portes d’un dojo sont, en général, différentes de celles qui le convaincront, par la suite, de parcourir la longue voie, difficile et incertaine, du budo. Cet article n’a pas pour but de les répertorier toutes, d’une part parce qu’elles sont aussi nombreuses que les pratiquants eux-mêmes et, d’autre part, parce qu’elles restent du domaine de la subjectivité. Mais l’image du « chevalier sans peur et sans reproche », amplement relayée par les romans, les bandes dessinées, les films et autres documentaires dithyrambiques sur les arts martiaux, reste étroitement associée à ces premières motivations et demeure à jamais gravée dans notre inconscient. En aïkido, cette image est d’autant plus vivace dans l’esprit des pratiquants qu’elle est liée à la figure charismatique de son fondateur que certains auteurs n’hésitent pas à présenter comme « un guerrier invincible ».Cependant, si l’Aïkido, ou le Budo, devait se limiter à devenir « invincible », qu’en serait-il du...

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L’histoire du Kappa

Posté par le 5 mars 2012 dans Histoire et philosophie, Malcolm Tiki Shewan | 0 commentaire

  Ceci est un kakimono de Yamaoka Tesshu. Cette calligraphie, comme presque tout dans la vie de cet homme remarquable, est liée au Budo et à l’art du sabre. Cette illustration a été choisie pour décorer les T-shirts commémorant le 19ème anniversaire du stage des Iles de Lérins à Cannes (du 13 au 16 mai 1999). Elle a de nouveau été utilisée lors des 20ème et 21ème et le Kappa est finalement devenue le logo du stage. Suite à la demande pressante de nombreux pratiquants sur le sens et l’esprit de cette calligraphie, le texte accompagnant l’illustration pourrait se traduire ainsi :   Ne pas se tenir en retrait En cherchant à protéger son cul. Dès que se présente la moindre ouverture, profitez-en.   * A ceux désireux d’en apprendre plus sur Yamaoka Tesshu, je recommande vivement le livre de Johnn Stevens : « Sword of No-Sword ».   Voici maintenant quelques explications sur ce petit être glissant comme une anguille, extraites du livre : « Japanese Mythology » de Juliet Piggot.   Le Kappa est une créature plus intelligente que l’Oni (ogre) et n’est en aucune manière foncièrement méchant puisqu’il peut être amadoué par l’homme et qu’il est connu pour avoir enseigné certaines connaissances aux humains, en particulier l’art de rebouter les os. Certains croient que le Kappa est d’origine Aïnu, d’autres qu’il descend du singe, messager du dieu des rivières. Les Kappa ressemblent au singe, mais sont dépourvus de fourrure. Ils ont parfois des écailles ou une carapace de tortue. Ils sont environ de la taille d’un enfant de 10 ans, de couleur jaune verdâtre et ils se distinguent essentiellement par un creuset au sommet de leur crâne. Si l’eau qu’il contient est renversée, les Kappa perdent immédiatement leurs pouvoirs. Ils vivent dans les rivières, les mares ou les lacs et sont des sortes de vampires se nourrissant par l’anus de leurs proies. Le sang des chevaux ou du bétail les satisfait tout autant que celui des humains. On pensait qu’un corps mort par noyade présentant un anus distendu avait été victime des Kappa, comme d’ailleurs les enfants ou les adultes noyés dont les corps n’ont jamais été retrouvés. Les Kappa sont aussi connus comme étant capables de violer les femmes, une caractéristique qu’ils partagent avec les Oni. En dehors du sang, ils aiment les concombres et un moyen de les amadouer est de jeter des concombres portant le nom et l’âge des gens dans l’eau des rivières où vivent les Kappa. Ainsi, ils n’attireront pas ces personnes dans leurs griffes. Une autre caractéristique des Kappa est leur capacité à tenir une promesse et il existe beaucoup d’histoires de promesses faites entre des hommes et des Kappa, souvent à l’avantage des premiers. En dépit de leurs habitudes dégoûtantes, ils sont étrangement polis et cela se retourne souvent contre eux car, en s’inclinant pour saluer une éventuelle victime, ils renversent l’eau au sommet de leur tête et perdent leurs pouvoirs. Les histoires qui suivent illustrent parfaitement l’honnêteté et la politesse du Kappa. L’un des aspects récurrents des rencontres avec les Kappa est que lorsqu’il défie un humain en combat singulier, il est essentiel d’accepter et d’espérer que le Kappa ne gardera pas sa tête droite durant la rencontre, car l’humain peut alors exiger une promesse du Kappa affaibli....

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Les grades en Aïkido

Posté par le 5 mars 2012 dans Histoire et philosophie, Malcolm Tiki Shewan | 0 commentaire

  Avant d’aborder le système de grades qui est actuellement employé dans la discipline d’Aikido il serait utile de faire un bref résumé historique de la notion de grades au sein des pratiques martiales japonaises.   LE SYSTEME MENKYO-KAIDEN A l’époque où les diverses disciplines avaient obligatoirement une raison d’être pratique (applications en situations réelles combatives) il est évident que le pratiquant remplissait son devoir de guerrier soit en gagnant et en restant en vie, soit en sacrifiant sa vie pour gagner, soit en perdant. Les choix n’étaient pas particulièrement grands en ce qui concernait son efficacité combative. La notion d’un système de grades base sur un évaluation de capacités combatives aurait été, pour ainsi dire, un non-sens. En revanche, chaque école avait besoin d’un système pour reconnaître les capacités d’enseignement du pratiquant en tant que transmetteur des structures techniques, philosophiques, ethiques et autres de l’école. C’est ainsi que fut institué le système Menkyo-Kai den. Celui-ci, je le répète, n’était absolument pas basé sur l’efficacité personnelle du pratiquant mais constituait, plutôt, un certificat assurant qu’il avait accompli une certaine étude au sein d’une école et qu’il pouvait retransmettre (selon les règlements intérieures propres à chaque école) la partie du curriculum de l’école qu’il avait maîtrisée et qu’il était autorisé à enseigner. Aujourd’hui, la confusion est né du fait qu’un pratiquant, possesseur d’un diplôme d’enseignant de haut-niveau de l’école, devait forcément être très efficace sur le plan combatif. Cette distinction est fondamentale si l’on veut comprendre le problème des grades historiques ou actuels. Dans le système Menkyo, il existait, généralement, 3 à 5 certificats, donc niveaux d’enseignant. Le premier certificat s’appelait « Oku-Iri » et il avait pour but de sanctionner que l’élève avait accompli son étude des bases et pouvait être considéré comme véritablement membre de l’école. Ceci exigeait une dizaine d’années d’apprentissage (à raison de plus de 3 heures par semaine!) durant laquelle il se familiarisait avec le curriculum de base. Si on devait faire une comparaison avec les grades Dan, on pourrait dire que Oku-Iri correspond au niveau de connaissance d’un 4em ou 5em Dan, alors que dans le système classique il est la toute première qualification décerné. En principe, ce certificat comprenait très peu de qualifications à l’enseignement et cela seulement en présence d’un instructeur plus qualifié et à sa demande. C’est l’entraîneur. Venait, ensuite, deux certificats de qualification d’instructeurs : le Sho-Mokuroku et le Go-Mokuroku. Ces deux niveaux correspondaient respectivement à Assistant-Instructeur et Instructeur soit dans le système Dan, aux niveaux se situant entre 5ème et 7ème Dan. Ils devaient être parfaitement familiarisés avec le curriculum technique de l’école, et ils jouaient un rôle important dans la formation des jeunes élèves et dans la vie de l’école. Le certificat de Menkyo ou Menkyo-Kaiden signifie la maîtrise et son détenteur est pleinement qualifié pour tous les aspects de l’enseignement de l’école. On peut dire qu’il correspond symboliquement au 8em Dan actuel. Je n’en dirai pas plus concernant les qualifications du Menkyo sauf qu’il pouvait, à ce stade et si l’école l’estimait nécessaire, ouvrir son propre dojo ou école. En effet, la maîtrise impliquait une certaine liberté d’action.   LE SYSTEME KYU-DAN Le système KYU-DAN est une invention relativement récente dans les disciplines dites Shin-Budo; il date de la fin du siècle dernier et du début du si siècle...

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