Une question d’intégrité physique
Aujourd’hui, notre société s’inquiète de sa santé. Sans créer un tableau noir trop pessimiste, observons le monde. Sur tous les continents, la violence, l’agressivité se propagent dans la rue, au travail, au sein même de la cellule familiale… Face à ces maux, l’homme cherche à se protéger. Une des réponses ne se trouve-t-elle pas dans le Budo ? Car l’objectif de la voie martiale vise à la non violence par la maîtrise de ses pulsions : colères, peurs. L’Aïkido, en qualité de Budo japonais, répond parfaitement à cette finalité. La pratique régulière des techniques participe à mieux connaître ses limites, à mieux se centrer donc à trouver un nouvel équilibre à la fois mental et physique. L’Aïkidoka se trouve alors davantage en harmonie dans la société moderne. Un mental renforcé, une capacité de réagir exacerbée… Tout cela participe à apaiser l’esprit et à tempérer l’ego de chacun. C’est aussi l’ouverture du chemin de l’esprit et à tempérer l’ego de chacun. C’est aussi l’ouverture du chemin de l’esprit au cœur. Réaliser cette dimension humaine n’est possible qu’avec l’étude assidue de l’Aïkido, comme des autres Budo japonais. Une question d’éducation Pouvons-nous dire que l’Aïkido et la self-défense sont liés ? Répondre oui serait incorrect, mais répondre non serait inexact. Pour éviter toute mauvaise interprétation, ce serait une erreur de signifier que l’Aïkido est une méthode de self-défense. Les Aïkidoka n’ont pas cette prétention. Cependant, la notion de self-défense, l’idée de « se protéger soi-même », existe sur le plan technique, même s’il ne s’agit pas du but exclusif de l’Aïkido. C’est une partie intégrante. Car, si aujourd’hui, les professionnels de la sécurité et les forces de l’ordre s’intéressent de plus en plus à l’Aïkido, c’est parce qu’il y a bel et bien une raison ! Je pourrais citer par exemple un haut responsable de la police qui m’a dit : « J’ai choisi l’Aïkido pour mes hommes, car je veux des hommes réfléchis ». En fait, il expliquait vouloir des hommes capables de maîtriser toute situation sans violence. Quelles techniques répondent le mieux à une agression ? Ne confondons pas la réalité de la rue avec une pratique tatami. Les unes sont vulgaires et violentes, celles de Budo sont systématiques, réglées. Les buts ne sont pas les mêmes. Un combat de rue naît de l’agressivité. Il en ressort de la violence, une énergie destructrice. Les techniques du Budo ont au contraire pour but de préserver la vie. C’est une question d’éducation. En principe, les aïkidoka, confirmés dans leur pratique du Budo, possèdent les moyens de répondre sans violence à une situation d’agression. Mais, il serait aventureux de dire que telle technique est plus efficace qu’une autre. Chaque situation appelle une technique différente. On ne choisit pas la technique, c’est une réaction mentale et physique spontanée. L’Aïkido peut devenir une arme efficace à condition que sa philosophie de non-violence soit bien comprise. Les quatre méthodes de l’Aïkido efficace Ko Taï : c’est le premier niveau de travail solide et précis. On emploie la force physique dans le but de renforcer l’ossature et la musculature pour construire les fondations. C’est l’état solide. Ju Taï : c’est le travail avec la souplesse, sans contraction inutile contre attaque ou saisie appliquée brutalement. C’est l’état fluide Eki Taï : c’est agir juste avant l’attaque, le partenaire ne parvient pas à vous toucher. C’est l’état liquide. Ki Taï : vous guidez votre partenaire. Il est enveloppé et englobé. Vous êtes insaisissables, Il n’y a plus de partenaire ou d’adversaire. Cet état de perfectionnement est le but de tous les aïkidoka. L’adversaire ou l’ennemi n’existe pas, il est absorbé à l’intérieur de soi-même. Cet état en japonais est nommé « Kimusubi ». En outre, dans cette richesse inépuisable, n’oublions pas le rôle de l’atemi que nous ne devons pas confondre avec le coup de poing du Karate. L’atemi est utilisé dans toutes les techniques d’Aïkido sans exception. Ate, provenant d’Ateru, signifie estimer, évaluer avec précision l’endroit voulu. Mi signifie le corps. En Aïkido, le but de l’Atemi est de provoquer une douleur aux points vitaux, perturber la concentration de l’adversaire et dominer sa volonté d’attaque. Il est bon de préciser qu’un Atemi fort peut engendrer des conséquences irréparables (évanouissement, paralysie ou mort). Mais n’oublions pas que ces points vitaux sont aussi utilisés pour guérir et réanimer. Il est donc important d’avoir une bonne connaissance de l’anatomie. ...
Les points-clés ? Mobilité et maîtrise de la distance (entrevue avec René Vandroogenbroeck)
Elève de Tamura Senseï et fondateur de l’Aïkikaï du Havre, René Van Droogenbroeck (6ème dan), technicien hors-pair, est un professeur d’Aïkido réputé pour l’efficacité de son travail. Présent lors du dernier festival des arts martiaux de Bercy, le côté « réaliste » de son exhibition a été très apprécié par un nombreux public. C’est avec le même souci d’efficacité, qu’en matière de saisie, il préconise tout d’abord de bien observer son adversaire afin de limiter le choix de ses attaques, mais aussi d’être également prêt à aller jusqu’au « sacrifice ». Quelles sont, pour vous, les meilleures conditions pour que s’effectue une saisie efficace ? Deux choses sont très importantes. Il s’agit tout d’abord de la mobilité et ensuite de la maîtrise de la distance. Cette dernière peut être courte ou plus longue car tout dépend bien sûr de l’attaque et aussi de notre riposte. Néanmoins, il faut absolument occuper cet espace comme celui de la mobilité. Il faut littéralement faire « bouger » son adversaire dans la direction que l’on a choisie. En ne lui offrant par exemple que certains angles d’attaque on limite ses choix et donc son potentiel d’atémis. C’est donc notre propre positition de départ, notre garde, qui va prédéterminer l’attaque de l’adversaire ? Tout à fait. Si par exemple vous vous présentez un peu de profil, il n’y a vraiment que peu de chance pour que votre adversaire décide de vous surprendre à l’opposé de l’épaule que vous lui présentez. Dès lors, ses choix sont limités et à ce stade on peut déjà envisager certaines répliques. En Aïkido, les projections après une saisie occupent une place très importante. Qu’en est-il des immobilisations ? Les projections sont une partie de l’Aïkido, mais il ne faut pas oublier que les atémis et les immobilisations le sont tout autant. Lors d’une attaque, nous répliquons d’ailleurs très souvent par un atémi suivi d’une immobilisation où l’adversaire se retrouve toujours sur le ventre, jamais sur le dos. Votre enseignement est réputé pour son côté « réaliste ». Quels sont les différents types de saisies que vous enseignez et qui fonctionnent ? Sur une attaque directe du poing, la technique « hijikimeosae », qui est une clé de coude, marche très bien. Sur une attaque en jambe, je préconise de rentrer au « contact » avec l’adversaire pour ne pas s’exposer à la puissance de frappe qui se trouve au bout de la jambe. Une fois au contact, c’est l’atémi qui intervient et enfin la projection. La vitesse d’exécution est-elle importante ? Senseï Noro disait : « Plus l’adversaire est rapide et plus il faut être lent ». Par « lent » il fallait comprendre « précis ». La précision réclame d’être « dans le temps » de l’attaque. C’est ce qu’on appelle aussi « le timing ». Cela s’acquiert avec le travail et la persévérance. Il faut également savoir bien observer son adversaire. A l’intérieur de l’instant qui s’écoule avant son attaque et jusqu’au moment où il s’apprête à la lancer, il existe un instant « clé » très court, mais suffisant pour déclencher en nous la réponse juste qui, bien sûr, peut être une saisie. Quelles erreurs faut-il éviter lorsqu’on s’apprête à saisir ? Il faut tout d’abord « être puissant », c’est-à-dire en accord complet avec son mouvement et avec son adversaire. Cela veut également dire que même face à une arme, il faut parfois envisager une forme de « sacrifice » pour parvenir à s’en sortir. Si par exemple avant de saisir le bras qui tient l’arme il faut « rentrer » dans la distance avec le risque d’être blessé et si c’est la seule solution pour sauver sa vie, alors il ne faut pas hésiter....
Propos sur la pratique
Qui n’a pas entendu dire que la technique n’est qu’un moyen, pas une fin. Elle reste, néanmoins et avant tout, l’outil qui nous ouvrira les portes de l’Aiki. Dès lors, il y a lieu de se demander : « mais puisque la technique n’est pas une fin, quelle est donc la fin de la technique ? » L’Aikido est principalement une pratique corporelle. C’est à travers le corps qu’O’Sensei nous propose de trouver l’harmonie en nous et avec le monde. C’est l’instrument avec lequel nous étudierons le mouvement et entrerons en relation avec l’autre pour finalement percevoir que ce mouvement est celui de l’Univers lui-même et qu’il faut nous mouvoir en accord avec ses Lois, physiquement et mentalement. Dans un précédent article, j’écrivais que l’Aikido se pratiquait physiquement, intellectuellement et émotionnellement. J’aimerais aujourd’hui expliquer ce que j’entends par là. Dans un premier temps, je voudrais préciser qu’il n’existe aucune séparation entre ces 3 aspects de la pratique qui, naturellement, forment un tout. Une pratique seulement physique, ou seulement intellectuelle ou encore seulement émotionnelle générera un déséquilibre qui limitera le pratiquant dans sa progression et engendrera un hyper technicien insensible, un intellectuel pas doué ou un saint béat. En revanche, au cours de notre parcours martial, nous sommes amenés à pratiquer plus sur un aspect que sur les autres ou, pour être plus précis, à nous investir plus, à un moment donné, dans l’un des trois. La pratique physique Elle est la plus essentielle, la plus concrète, la plus évidente, ce qui ne veut pas dire la mieux comprise car elle est basée sur l’étude des mouvements à la fois de Tori et d’Uke. L’une des premières motivations du pratiquant devrait donc être celle d’acquérir ces mouvements dans son corps. Pour ce faire, ce dernier n’a besoin que d’une seule chose : répéter. C’est en répétant et en répétant les mouvements qu’il apprend comment bouger en accord avec les principes sur lesquels a été fondée sa discipline. C’est seulement lorsqu’il pourra bouger selon ces principes, sans y penser, qu’il commencera à pratiquer Aikido, un peu comme le pianiste qui doit oublier ses doigts pour « interpréter » La Musique. Cependant, oublier ne veut pas dire qu’il n’a plus besoin de la technique mais, plutôt, que ses doigts ont acquis la capacité de bouger naturellement, sans qu’il doive y réfléchir. C’est alors que sa pratique pourra entrer dans une autre dimension, celle qui lui permettra d’oublier son corps, d’oublier la technique. Tant que ses doigts ou sa technique poseront problème, il ne pourra prétendre jouer de la musique ou pratiquer l’Aikido. Évidemment, il peut paraître insensé de prétendre que l’étude technique puisse être oubliée. Effectivement, elle ne l’est jamais réellement et c’est la raison pour laquelle même les plus grands virtuoses répètent régulièrement leurs exercices de base. Il en va de même pour un pratiquant d’Aikido : il ne doit jamais arrêter de pratiquer, de répéter, aussi bien Tori que Uke (la main gauche et la main droite). L’âge ne facilite pas la tâche, notamment pour la partie Uke. Mais à ce niveau également, l’acquisition physique des principes, c’est-à-dire ce que j’appellerais : « la compréhension ou l’intelligence du corps », devrait permettre au pratiquant moins jeune de prolonger sa pratique d’Uke jusqu’à un âge avancé. « L’intelligence du corps » est cet instinct que développe le corps par la pratique ou, plus exactement, par la répétition, et qui lui permet de réagir avant même que le cerveau ait eu le temps de raisonner sur la situation. Les exemples de pratiquants qui sont sortis indemnes d’un choc frontal à moto grâce à l’ukemi ne manquent pas et chacun d’eux pourra témoigner qu’ils n’avaient même pas eu le temps d’y penser que leur corps avait déjà réagi, instinctivement. S’il veut pouvoir continuer à pratiquer longtemps, le pratiquant doit, à un moment ou à un autre, s’interroger sur le mouvement qu’il exécute, sa raison d’être, son but, son sens. En effet, la répétition mécanique d’un geste ne saurait, à elle seule, garantir que le corps sera bien éduqué et « que les doigts se déplaceront sur le clavier d’euxmêmes ». À cela, plusieurs raisons : 1) Le modèle du mouvement que doit reproduire le pratiquant doit être irréprochable. En général, ce rôle est dévolu à l’enseignant et c’est d’ailleurs sa fonction principale. Mais comment apprendre à bien écrire si le modèle des lettres n’est pas correct ? Il s’agit d’une lourde responsabilité et chacun devrait y réfléchir à deux fois avant de se décider à enseigner. En effet, si le pratiquant reproduit un mouvement incorrect, qui se trompe ? Il est donc indispensable de respecter la...
Le travail aux armes
Entretien avec Daniel Leclerc AJ: Tu travailles beaucoup avec les armes. Pourquoi ? DL : Parce qu’il est impossible de dissocier le sabre du Japon : toute l’histoire des arts martiaux japonais est liée au katana. Si tu veux avoir une chance de comprendre le Budo japonais, tu ne peux pas ne pas étudier le sabre, le Ken. Et O’Senseï n’a pas échappé à la règle : ne dit-on pas de l’Aïkido qu’il est l’art du sabre sans sabre ? Hélas, il n’a laissé aucune didactique et si ce n’était l’effort de Saïto Senseï dans ce sens, l’étude du ken, et des armes en général, aurait déserté depuis longtemps nos dojo d’Aïkido. Pour ma part, ma démarche a été la suivante : retrouver à travers l’étude du sabre les principes qui ont inspiré O’Senseï pour créer l’Aïkido. Cette recherche m’a porté à étudier le Budo classique dont la didactique a fait ses preuves au fil du temps, puisque certaines écoles pré-datent 1600. Cette didactique est parfaitement structurée et conduit progressivement le pratiquant à appréhender les principes qui sous-tendent le Budo japonais. Rien n’est laissé au hasard, tout est prévu, réglé, éprouvé. Tu dois seulement perdre temporairement ta liberté en confiant ta progression à des séries de mouvements que d’autres ont créées pour toi : les fameux Kata, tant décriés. Comme j’ai eu plusieurs fois l’occasion de le dire, ce que j’aime avec les armes, c’est la liberté ; mais le prix de la liberté, c’est le Kata. Ce que j’aime en Aïkido, c’est la liberté ; mais le prix de la liberté, c’est la médiocrité. Cette liberté, tu ne manqueras pas de la retrouver, pour autant que ta recherche soit sincère et ta pratique assidue. Mais rien n’est garanti. Et tu ne manqueras pas de la trouver chez de nombreux élèves de O’Senseï. Qui a pratiqué le ken de Shirata Senseï, d’Arikawa Senseï, de Saïto Senseï, de Kobayashi Senseï, de Tamura Senseï, de Chiba Senseï et autres me comprendra. Mais je ne prétends pas que l’étude de l’Aïkido doive nécessairement passer par les armes : loin s’en faut. L’Aïkido se suffit à lui-même : c’est seulement nous qui n’y consacrons pas suffisamment de temps, ou qui avons cessé d’apprendre… AJ : C’est plus difficile d’apprendre les mouvements aux armes qu’en Aïkido ?… DL : Non, au contraire ! C’est plus facile. Enfin, ne me fais pas dire ce que je ne veux pas dire : plus facile, mais pas plus simple. C’est plus facile, parce que l’on te dit pratiquement comment faire. On te dit : « Pratique et étudie les Kihon et les Kata et tu comprendras les principes qu’ils illustrent ». Dans les Ecoles classiques d’armes, les Kata font office de testament technique et ce sont les pratiquants, par leur travail et leur engagement, qui les font survivre en transmettant fidèlement leur testament. En Aïkido, on te donne des indications, des directions de recherche, des points-clés. Pour autant que je sache, O’Sensei n’avait pas structuré sa didactique et l’on doit la nomenclature actuelle à son fils : Kisshomaru. De ce fait, rien n’empêche aujourd’hui de considérer Ikkyo ou Shiho nage comme un Kata, même si cette affirmation peut en irriter plus d’un. Très schématiquement, deux types de didactique peuvent être définis : Omote et Ura. Quand un menuisier, par exemple, transmet son savoir, l’Omote consistera pour lui à enseigner à l’apprenti comment fabriquer cette chaise, puis cette table, puis cette armoire et ainsi de suite, jusqu’à ce que l’apprenti soit en mesure de reproduire fidèlement le modèle de chaises, de tables ou d’armoires proposé. L’Ura consistera à lui enseigner à quoi servent les outils, comment et pourquoi les utiliser : celuici pour couper, celui-là pour raboter, cet autre pour visser et ainsi de suite jusqu’au moment où l’apprenti pourra transformer un arbre – sa matière première, son Uke – en quoi bon lui semblera qui respectera la nature originelle du bois. A n’en pas douter, les élèves d’O’Senseï d’avant guerre ont reçu un enseignement Ura et ils étaient tous des Budoka parfaitement accomplis. Pour ma part, j’ai choisi d’entrer dans l’Ura de l’Aïkido par les armes (Iaï-do, Iaï-jutsu, ken et Jodo) et je ne regrette pas ce choix. Et Tamura Senseï lui-même m’a toujours prodigué ses encouragements pour persévérer dans cette Voie. AJ : Mais alors, que t’a apporté le travail des armes que tu n’as pas trouvé en Aïkido ?… DL : Disons que le travail des armes a mis en évidence des éléments inclus dans la pratique de l’Aïkido qui ne sont plus ou peu enseignés, même s’il y est fait référence. AJ : Par exemple ?… DL...
Le rôle de l’Uke en Aïkido
UKE, celui qui chute dans la pratique d’AIKIDO, par opposition à TORI qui exécute la technique, joue un rôle essentiel dans la didactique martiale en général et japonaise en particulier, tout du moins pour ce qui concerne les disciplines qui enseignent les formes de combat face à face à un adversaire. La cible n’a pas moins de valeur en KYUDO, par exemple, mais ne remplit pas les mêmes critères. Ce rôle est bien souvent méconnu ou mal compris, pour ne pas dire déconsidéré, par bon nombre de pratiquants notamment en raison de la fonction passive qu’on lui attribue injustement. Cet article se propose d’analyser ce rôle, sous tous ses aspects, et ainsi permettre au shugyo-sha d’y puiser les éléments susceptibles d’orienter son travail vers une meilleure compréhension de sa ou ses pratiques. Dans un premier temps, nous tenterons de comprendre et d’analyser les raisons qui pourraient justifier cet apparent manque d’intérêt. Puis nous aborderons les différents sens attachés à cet aspect de la pratique. Enfin, nous dégagerons quelques moyens utiles et pratiques pour améliorer notre propre technique à ce sujet. L’un des principaux facteurs qui contribue à mésestimer le rôle d’UKE est d’ordre psychologique , notamment dans les techniques corps à corps, savoir: la peur liée à la chute. Cette peur trouve vraisemblablement son origine dans l’inconscient attaché à l’évolution de l’espèce humaine en général et de chaque individu en particulier, lorsqu’il fait ses premiers pas. Il est communément admis, en effet, que l’espèce humaine est née le jour où un animal s’est dressé sur ses membres inférieurs pour adopter la position verticale. On peut facilement imaginer que cette mutation ne s’est pas réalisée sans douleur et il suffit d’observer, à défaut de se rappeler, les pénibles expériences du bébé lorsqu’il passe de la position couchée à la position assise, puis à quatre pattes pour finalement parvenir laborieusement, par imitation, à se dresser sur ses jambes. Combien de chutes, de plaies, de bosses n’ont-elles pas été durement expérimentées à cette époque de la vie? Elles restent inévitablement gravées dans notre mémoire pour ne laisser subsister qu’une peur viscérale de la chute. Dès lors, l’apprentissage de la chute à un âge où tous les facteurs génétiques liés à l’une des spécificités de notre espèce se sont définitivement établis, revient à entreprendre le même processus à l’envers, ce que l’inconscient refuse d’accepter. Il suffit, pour s’en convaincre, de relever les diverses locutions verbales utilisées dans toutes les langues pour exprimer cette peur. Ne parle t’on pas, en effet: ♦ de la chute d’un empire, d’une monarchie, d’un régime, d’un gouvernement; de la chute d’une monnaie, des cours de la bourse; de la chute de tension, de température, des cheveux; d’une chute d’eau, de neige, de pluie; de la chute du jour, ne dit-on pas: ♦ tomber dans les pommes, des nues, de Charybde en Scylla, etc… ♦ sauter dans l’inconnu, Qui n’a pas entendu sa mère lui dire: «Fais attention à ne pas tomber, tu vas te faire mal!», ou encore: «A force de faire le fou, tu vas finir par tomber!», sous-entendu «te faire mal!». Il semble donc que la chute soit associée, dans l’inconscient collectif, à la douleur, au déclin, au manque, à une déchéance, à une perte d’équilibre physique, mental et social . Il n’est donc pas étonnant, dans ces conditions, que l’homme s’en défie instinctivement. Car il s’agit bien d’un défi, puisqu’en entreprenant l’apprentissage de la chute, le pratiquant va à la rencontre de l’une des peurs inscrites dans ses gènes. Parallèlement à ces peurs liées à ce que l’on pourrait appeler l’inconscient de l’espèce, existent d’autres peurs, plus subjectives, plus personnelles. En effet, il y a un monde entre tomber tout seul , par maladresse, par faiblesse temporaire, par inadvertance, et se faire chuter (on dit plutôt se faire projeter ). Ce monde est l’autre et la confiance relative qu’on lui accorde. Car UKE ne se limite pas à l’UKEMI (communément traduit par chute). Il y a, de fait, une part d’inconnu dans le fait de se placer dans une situation de complet abandon, physiquement et psychologiquement. En cela, on peut abonder dans le sens de ceux qui n’accordent à UKE que le seul droit de mourir. Chuter, c’est effectivement mourir un peu, ou tout du moins avoir la possibilité d’en prendre conscience et d’en accepter l’éventualité. Malheureusement, la mauvaise compréhension du rôle d’UKE, alliée à une certaine rigidité physique – que n’améliore pas les conditions de la vie moderne -, aux hiatus techniques de TORI et sa difficulté à réaliser une technique juste, n’incite pas le pratiquant à renouveler l’expérience de sa propre mort suffisamment souvent pour y trouver autre...