Histoire et philosophie

L’Aïkido est-il un poison ?

»Posté par le 7 mars 2012 in Daniel Leclerc, Histoire et philosophie | 0 commentaire

  « Ce qui est viande pour l’un est poison pour l’autre. » (Proverbe africain) Lorsque, jeune pratiquant, je suivais hebdomadairement les stages dirigés par les Senseï, j’ai souvent entendu Maître Chiba dire que l’aïkido était un poison. À cette époque, cette affirmation relevait plus pour moi du koan que de la raison et c’est seulement bien plus tard que j’en ai mesuré toute la pertinence. S’il est vrai, comme le prétendent les grands sages indiens, que l’humanité est aujourd’hui au crépuscule du kali yuga – l’âge des conflits -, il n’en est pas moins vrai que le système proposé par O’Senseï constitue une réponse concrète à cette situation. Le dictionnaire donne du mot « conflit » la définition suivante : (dérive du latin « conflictus », qui signifie « combat ») opposition, combat, lutte armée ; et la guerre n’en est que sa forme la plus extrême. Mais la guerre, surtout lorsqu’elle est vécue de l’extérieur comme toutes celles qui se déroulent actuellement hors de notre territoire, est perçue au travers du prisme déformant de notre morale – abondamment conditionnée par nos croyances – et nous pensons pouvoir l’ignorer sous prétexte qu’elle ne nous affecte pas directement et personnellement. Cependant, à y regarder de plus près, un conflit, de quelque nature qu’il soit : personnel ou collectif, au travail ou entre amis, en famille ou avec qui que ce soit, est fondamentalement de même nature que la guerre puisqu’il est la conséquence d’une absence d’harmonie. Certes, chacun a son mode propre de réagir ! Mais on attend d’un pratiquant d’aïkido qu’il mette en application ce qu’il a appris dans le dojo pour trouver la solution harmonieuse aux diverses agressions que nous régalent quotidiennement la vie et les autres. De ce point de vue, il est aussi cocasse que triste de constater que les dirigeants de nos fédérations ne parviennent pas à trouver, voire même seulement à chercher, une harmonie entre eux, harmonie qui est pourtant leur raison d’être en tant que représentants d’une discipline qui la prône au niveau de l’univers. Pire ! Ils sont en conflit ! Certes, les statistiques toujours en hausse du nombre de leurs adhérents les confortent dans leur politique d’opposition et ils n’hésitent d’ailleurs pas en s’en attribuer le mérite, comme si cette croissance était le résultat des décisions qu’ils prennent lors de leurs assemblées générales. Pourtant, les premières motivations qui poussent un individu à franchir les portes d’un dojo sont, en général, différentes de celles qui le convaincront, par la suite, de parcourir la longue voie, difficile et incertaine, du budo. Cet article n’a pas pour but de les répertorier toutes, d’une part parce qu’elles sont aussi nombreuses que les pratiquants eux-mêmes et, d’autre part, parce qu’elles restent du domaine de la subjectivité. Mais l’image du « chevalier sans peur et sans reproche », amplement relayée par les romans, les bandes dessinées, les films et autres documentaires dithyrambiques sur les arts martiaux, reste étroitement associée à ces premières motivations et demeure à jamais gravée dans notre inconscient. En aïkido, cette image est d’autant plus vivace dans l’esprit des pratiquants qu’elle est liée à la figure charismatique de son fondateur que certains auteurs n’hésitent pas à présenter comme « un guerrier invincible ».Cependant, si l’Aïkido, ou le Budo, devait se limiter à devenir « invincible », qu’en serait-il du Do, de la Voie, autrement dit de son message spirituel ? La première étape que doit franchir un pratiquant d’aïkido, et de budo en général, est de former son corps physiquement. Les ukemi contribuent pour une grande part à cet apprentissage C’est durant cette phase qu’il expérimente les lois de la gravité, de l’équilibre et du déséquilibre, de la spirale, de la biomécanique, cette liste n’étant pas, selon la formule consacrée, limitative. Parallèlement, ou après quelque temps de pratique, selon le type d’individus, une naturelle curiosité intellectuelle amène le pratiquant à s’intéresser aux aspects culturels de sa pratique. Il accumule dès lors une somme d’informations qui lui permettront de s’insinuer dans l’environnement culturel de l’aïkido au sens large (historique, philosophique, psychologique, mythologique, religieux, mystique, etc., aussi bien occidental qu’oriental), pour ainsi comprendre et vivre davantage sa pratique. Puis, s’il continue à entretenir son corps et à améliorer sa compréhension, il devrait progressivement ressentir « émotionnellement » le sens du concept : « être le centre de l’univers ». Il perçoit que tout tourne autour d’un centre et que l’aïkido est une méthode qui permet de le comprendre, d’abord avec son corps et son intellect, puis avec son esprit. La voie est tracée, sauf qu’en budo il revient au pratiquant de la tracer et chacun peut être tenté, à tout moment et pour diverses raisons, de croire qu’il...

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L’histoire du Kappa

»Posté par le 5 mars 2012 in Histoire et philosophie, Malcolm Tiki Shewan | 0 commentaire

  Ceci est un kakimono de Yamaoka Tesshu. Cette calligraphie, comme presque tout dans la vie de cet homme remarquable, est liée au Budo et à l’art du sabre. Cette illustration a été choisie pour décorer les T-shirts commémorant le 19ème anniversaire du stage des Iles de Lérins à Cannes (du 13 au 16 mai 1999). Elle a de nouveau été utilisée lors des 20ème et 21ème et le Kappa est finalement devenue le logo du stage. Suite à la demande pressante de nombreux pratiquants sur le sens et l’esprit de cette calligraphie, le texte accompagnant l’illustration pourrait se traduire ainsi :   Ne pas se tenir en retrait En cherchant à protéger son cul. Dès que se présente la moindre ouverture, profitez-en.   * A ceux désireux d’en apprendre plus sur Yamaoka Tesshu, je recommande vivement le livre de Johnn Stevens : « Sword of No-Sword ».   Voici maintenant quelques explications sur ce petit être glissant comme une anguille, extraites du livre : « Japanese Mythology » de Juliet Piggot.   Le Kappa est une créature plus intelligente que l’Oni (ogre) et n’est en aucune manière foncièrement méchant puisqu’il peut être amadoué par l’homme et qu’il est connu pour avoir enseigné certaines connaissances aux humains, en particulier l’art de rebouter les os. Certains croient que le Kappa est d’origine Aïnu, d’autres qu’il descend du singe, messager du dieu des rivières. Les Kappa ressemblent au singe, mais sont dépourvus de fourrure. Ils ont parfois des écailles ou une carapace de tortue. Ils sont environ de la taille d’un enfant de 10 ans, de couleur jaune verdâtre et ils se distinguent essentiellement par un creuset au sommet de leur crâne. Si l’eau qu’il contient est renversée, les Kappa perdent immédiatement leurs pouvoirs. Ils vivent dans les rivières, les mares ou les lacs et sont des sortes de vampires se nourrissant par l’anus de leurs proies. Le sang des chevaux ou du bétail les satisfait tout autant que celui des humains. On pensait qu’un corps mort par noyade présentant un anus distendu avait été victime des Kappa, comme d’ailleurs les enfants ou les adultes noyés dont les corps n’ont jamais été retrouvés. Les Kappa sont aussi connus comme étant capables de violer les femmes, une caractéristique qu’ils partagent avec les Oni. En dehors du sang, ils aiment les concombres et un moyen de les amadouer est de jeter des concombres portant le nom et l’âge des gens dans l’eau des rivières où vivent les Kappa. Ainsi, ils n’attireront pas ces personnes dans leurs griffes. Une autre caractéristique des Kappa est leur capacité à tenir une promesse et il existe beaucoup d’histoires de promesses faites entre des hommes et des Kappa, souvent à l’avantage des premiers. En dépit de leurs habitudes dégoûtantes, ils sont étrangement polis et cela se retourne souvent contre eux car, en s’inclinant pour saluer une éventuelle victime, ils renversent l’eau au sommet de leur tête et perdent leurs pouvoirs. Les histoires qui suivent illustrent parfaitement l’honnêteté et la politesse du Kappa. L’un des aspects récurrents des rencontres avec les Kappa est que lorsqu’il défie un humain en combat singulier, il est essentiel d’accepter et d’espérer que le Kappa ne gardera pas sa tête droite durant la rencontre, car l’humain peut alors exiger une promesse du Kappa affaibli. Il y avait un Kappa qui ressemblait à s’y méprendre à un enfant et avait l’habitude de demander aux passants de jouer à « tire-doigts » avec lui. Ses victimes étaient alors tirées dans la mare et on ne les revoyait plus jamais. Un cavalier fut capable de vaincre ce Kappa. Il referma ses doigts sur ceux du Kappa et lança son cheval au galop. L’eau du crâne du Kappa fut renversée et il demanda grâce promettant en échange à l’homme de lui enseigner l’art des rebouteux. L’homme relâcha sa prise et apprit du Kappa tout ce qu’il pouvait mais, avant de le laisser partir, il lui extirpa une ultime promesse : de partir vivre ailleurs et de ne plus jamais s’attaquer aux humains. Cette promesse fut tenue. L’histoire dit que parmi les descendants de cet homme, il y a toujours un bon rebouteux. La connaissance du Kappa a donc été transmise de génération en génération. Une autre histoire de Kappa raconte qu’un d’eux sorti d’une rivière pour attaquer une vache attachée dans un pré en enfilant sa main dans le rectum de celle-ci. Au cours du combat, la vache enroula la corde avec laquelle elle était attachée autour du bras du Kappa qui, pour s’échapper, le brisa net à hauteur de l’épaule. Le propriétaire de la vache trouva le bras en venant chercher sa...

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Les grades en Aïkido

»Posté par le 5 mars 2012 in Histoire et philosophie, Malcolm Tiki Shewan | 0 commentaire

  Avant d’aborder le système de grades qui est actuellement employé dans la discipline d’Aikido il serait utile de faire un bref résumé historique de la notion de grades au sein des pratiques martiales japonaises.   LE SYSTEME MENKYO-KAIDEN A l’époque où les diverses disciplines avaient obligatoirement une raison d’être pratique (applications en situations réelles combatives) il est évident que le pratiquant remplissait son devoir de guerrier soit en gagnant et en restant en vie, soit en sacrifiant sa vie pour gagner, soit en perdant. Les choix n’étaient pas particulièrement grands en ce qui concernait son efficacité combative. La notion d’un système de grades base sur un évaluation de capacités combatives aurait été, pour ainsi dire, un non-sens. En revanche, chaque école avait besoin d’un système pour reconnaître les capacités d’enseignement du pratiquant en tant que transmetteur des structures techniques, philosophiques, ethiques et autres de l’école. C’est ainsi que fut institué le système Menkyo-Kai den. Celui-ci, je le répète, n’était absolument pas basé sur l’efficacité personnelle du pratiquant mais constituait, plutôt, un certificat assurant qu’il avait accompli une certaine étude au sein d’une école et qu’il pouvait retransmettre (selon les règlements intérieures propres à chaque école) la partie du curriculum de l’école qu’il avait maîtrisée et qu’il était autorisé à enseigner. Aujourd’hui, la confusion est né du fait qu’un pratiquant, possesseur d’un diplôme d’enseignant de haut-niveau de l’école, devait forcément être très efficace sur le plan combatif. Cette distinction est fondamentale si l’on veut comprendre le problème des grades historiques ou actuels. Dans le système Menkyo, il existait, généralement, 3 à 5 certificats, donc niveaux d’enseignant. Le premier certificat s’appelait « Oku-Iri » et il avait pour but de sanctionner que l’élève avait accompli son étude des bases et pouvait être considéré comme véritablement membre de l’école. Ceci exigeait une dizaine d’années d’apprentissage (à raison de plus de 3 heures par semaine!) durant laquelle il se familiarisait avec le curriculum de base. Si on devait faire une comparaison avec les grades Dan, on pourrait dire que Oku-Iri correspond au niveau de connaissance d’un 4em ou 5em Dan, alors que dans le système classique il est la toute première qualification décerné. En principe, ce certificat comprenait très peu de qualifications à l’enseignement et cela seulement en présence d’un instructeur plus qualifié et à sa demande. C’est l’entraîneur. Venait, ensuite, deux certificats de qualification d’instructeurs : le Sho-Mokuroku et le Go-Mokuroku. Ces deux niveaux correspondaient respectivement à Assistant-Instructeur et Instructeur soit dans le système Dan, aux niveaux se situant entre 5ème et 7ème Dan. Ils devaient être parfaitement familiarisés avec le curriculum technique de l’école, et ils jouaient un rôle important dans la formation des jeunes élèves et dans la vie de l’école. Le certificat de Menkyo ou Menkyo-Kaiden signifie la maîtrise et son détenteur est pleinement qualifié pour tous les aspects de l’enseignement de l’école. On peut dire qu’il correspond symboliquement au 8em Dan actuel. Je n’en dirai pas plus concernant les qualifications du Menkyo sauf qu’il pouvait, à ce stade et si l’école l’estimait nécessaire, ouvrir son propre dojo ou école. En effet, la maîtrise impliquait une certaine liberté d’action.   LE SYSTEME KYU-DAN Le système KYU-DAN est une invention relativement récente dans les disciplines dites Shin-Budo; il date de la fin du siècle dernier et du début du si siècle actuel. Nous devons sa popularisation surtout au Judo et au Kendo. Ce système de grades s’inspire d’une philosophie Neo-Confucianiste qu’on appelle Chu-Hsi. Le concept central du Confucianisme Chu-Hsi est base sur la dualité « yukei-mukei », littéralement : « ce qui a la forme et ce qui n’a pas de forme ». On dit, par exemple « Yudansha-Mudansha », c’est à dire : « les pratiquants à grade Dan et les pratiquants n’ayant pas de grade Dan. D’ailleurs nous retrouvons partout dans les disciplines modernes ces concepts dualistes que le pratiquant doit faire transparaître au travers de sa pratique tant sur le plan « mentale » que sur le plan « physique ». Ce mariage « de l’action et de l’inaction » s’appelle « Sei to Do ». On trouve d’autres aspects de ce dualisme dans : « l’engagement et le non-engagement »- « yuken to muken »; « l’essence et la fonction »- « tai to yo » ou dans « l’energie et la raison »- « ki to ri », etc. « Une des différences que l’on peut constater entre le système Menkyo et le système Kyu-Dan est la question de l’integrité relative des grades. Les grades dans le système Menkyo accordent beaucoup d’importance sur la préservation de la tradition et les écoles (ryu) font de grands efforts pour soigneusement conserver une valeur la plus sérieuse au niveau des certificats d’enseignant délivrés aux pratiquants. Ceci est renforcé par le découragement de la course aux grades. Les grades Kyu-Dan manquent souvent d’integrité...

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