Histoire et philosophie

La parabole de l’eau et de la lune

»Posté par le 10 avril 2012 in Histoire et philosophie | 0 commentaire

                  L’une des paraboles les plus populaires que l’on retrouve fréquemment dans le Zen et les arts martiaux japonais traditionnels, est celle de l’eau et de la lune. Dans le Zen, il y a un Koan (un enseignement) qui s’appelle « les deux lunes ». Un jeune aspirant à la prêtrise interroge son maître à propos de l’essence du Zen. Le maître lui signale alors l’eau calme de l’étang et lui demande : quelle est la lune « réelle », celle qui se reflète dans l’eau ou celle qui apparait la nuit dans le ciel ? En essence, ces deux lunes sont le reflet de l’activité des esprits qui perçoivent constamment « deux » réalités : celle du monde tel qu’il nous apparaît et le monde que nous créons dans nos esprits. De grands sabreurs du passé faisaient souvent référence à cet enseignement. Dans les arts martiaux nous apprenons et nous nous concentrons souvent sur ce qui semble être la lune (le reflet dans l’eau) et nous ne percevons pas celle qui se trouve là-haut dans le ciel. Comment savons-nous si la lune est réelle alors que nous ne pouvons pas même la toucher ? Est-ce la même illusion pour les deux lunes, celle qui se trouve dans le ciel et la lune reflétée dans l’eau ? Dans le Zen, l’esprit doit être vide pour recevoir tout ce qui se trouve autour de lui sans apriori. Dans les arts martiaux cela veut dire appréhender l’adversaire et l’attaque tels qu’ils sont réellement et non tels que nous les percevons. Yagyu Renyasai, l’un des plus grands sabreurs du japon féodal fut un maître de l’école de l’épée de Yagyu Shinkage Ryu. Yagyu fut le fondateur de cette école et l’instructeur personnel du premier Shogun, Tokugawa Ieyasu. Renyasai devint l’héritier du Owari, une branche du Shinkage Ryu. Il ne se maria jamais et consacra sa vie entière aux arts martiaux. Outre sa réputation de grand sabreur, il était aussi un expert de la cérémonie du thé et un poète. Il existe beaucoup d’histoire et de légendes sur lui et sur sa réputation qui apparaissent souvent dans les films de Samouraï. Yagyu Renyasai était extrêmement intéressé par la conception d’une arme parfaite pour le combat. Il fit appel à une multitude de forgerons. De ses conceptions personnelles on a gardé la Yagyu Koshirae, la monture du sabre telle qu’il la dessina lui-même, et le Yagyu, la garde.Seules quelques-une d’entre elles furent forgées par lui et il céda la plupart à ses élèves les plus remarquables. Elles sont extrêmement rares aujourd’hui. Les collectionneurs d’épée japonaise essayent désespérément de trouver l’un ou l’autre exemplaire et paient des prix exorbitants pour les conserver. Il est rare qu’un sabreur puisse concevoir et fabriquer ces propres gardes, mais le phénomène n’est pas tout à fait inconnu. Un autre sabreur fameux dans ce domaine fut Miyamoto Musashi qui fabriqua quelques gardes pour son propre usage avec Togo Jui, le fondateur d’une autre école de sabre célèbre : Jingen Ryu. Les gardes de Yagyu sont peu usuelles et chacune d’elle exprime un enseignement secret de l’école Yagyu Shinkage Ryu. Renyasai aimait beaucoup la représentation de la parabole de l’eau et de la lune et il l’utilisait fréquemment dans ses gardes. L’un des rares exemples est celui que nous vous présentons ici. Entre les vagues on peut voir le léger dessin de la lune en croissant se reflétant dans l’eau. On croit qu’il essayait ainsi de transmettre un enseignement à ses élèves dans le plus pur style de l’école. Nous pouvons vous offrir aussi un deuxième exemple : celui de Maru-Nami, le déferlement des vagues, un dessin où n’apparaît pas la lune. Ces gardes ne sont pas aussi sophistiquées que certaines autres incrustées d’or ou ayant fait l’objet d’un travail artisanal, mais elles possèdent quelque chose de puissant qui nous permet d’imaginer l’esprit et l’énergie de Yagyu Renyasai, qui les animaient. Une légende connue raconte que Renyasai, ne parvenant pas à trouver une garde suffisamment  forte pour être digne  de lui dans la bataille, décida donc de fabriquer ses propres gardes. Après avoir forgé ses gardes, il les plaçait dans du mortier et les pilonnait avec un marteau. Il n’utilisait alors que celles qui, suffisamment solides, avaient « réussi » l’épreuve. Plus tard que les gardes de ses sabres furent façonnées dans un cuivre fin et « fragile ». Il expliquait cela ainsi : « j’ai atteint une phase de mon entraînement dans laquelle je n’ai plus besoin de me confier à la garde d’un sabre pour ma protection ». Peut-être avec cela, pouvez-vous vous approcher de ce que Yagyu Renyasai essayait d’enseigner à ses élèves il y a plus de 350 ans. Kensho...

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Vaincre sans combattre (interview Toshiro Suga)

»Posté par le 11 mars 2012 in Histoire et philosophie, Toshiro Suga | 0 commentaire

Toshiro Suga est un maître d’Aïkido à part. Dans une discipline où beaucoup parlent d’efficacité plus qu’ils n’en font preuve, il démontre un Aïkido à la puissance redoutable. Formé au Japon à l’Aïkikaï de Tokyo il recevra l’enseignement du fondateur et de ses plus proches disciples avant de venir diffuser l’Aïkido en occident. Son savoir encyclopédique lui permet de mettre en lumière la logique sous-jacente des techniques. Spécialiste reconnu du travail des armes de l’Aïkido, nous l’avons rencontré pour vous à l’occasion de la sortie d’un DVD qui fera date. Interview avec un maître au franc-parler et à l’humour indéniables.   Quand avez-vous commencé à pratiquer l’Aïkido ? J’ai commencé l’Aïkido le 16 février 1968. Je voulais aller au cours d’Osenseï de 6h30 à 7h30 mais malheureusement d’importantes chutes de neige paralysaient les transports et je n’ai pu me rendre qu’au cours de 15h. Je suis allé à cet horaire pendant un an et demi. Osenseï enseignait de 6h30 à 7h30 mais il revenait toujours pendant le cours de 15h. J’étais jeune. J’avais 17 ans et avec certains de mes camarades on n’aimait pas tellement que Osenseï vienne à notre cours parce que cela signifiait que nous allions rester longtemps en seïza. Nous restions immobiles pendant de longs moments à observer et écouter Osenseï. Nous étions jeunes et nous voulions bouger donc le moins qu’on puisse dire est que sa venue ne nous excitait pas particulièrement. Et je crois que certains maîtres partageaient ce point de vue… (rires). Aujourd’hui je suis vraiment heureux d’avoir vécu ces instants-là, les derniers moments d’Osenseï, mais il ne faut pas cacher nos sentiments de l’époque. Ceci dit, malgré notre envie de bouger nous regardions tout de même sérieusement et avec le plus grand respect. En fait, à l’époque nous croyions que Osenseï était immortel et nous ne comprenions pas à quel point ces moments étaient précieux. Je le vis presque quotidiennement pendant un an jusqu mois de février 69. A partir de là et durant les deux derniers mois de sa vie il souffrait trop pour pouvoir monter au dojo… (Note : L’Aïkikaï est un immeuble de quatre étages et le dojo principal se trouve au deuxième) Aujourd’hui je comprends à quel point j’ai eu une chance merveilleuse et je chéris tous les souvenirs que j’ai d’Osenseï. Sa présence magnétique, son aura extraordinaire, sa voix si claire. Et son Aïkido si pur… Beaucoup de pratiquants aujourd’hui n’ont vu Osenseï qu’en portrait. Ils n’ont souvent même pas vu les rares vidéos de ses démonstrations. Ils en entendent parler mais il n’est qu’une image très vague. Sa voix, ses mouvements me restent et je suis vraiment reconnaissant d’avoir eu cette grande chance.   La pratique d’Osenseï a évoluée durant toute sa vie. Quelle est l’époque que vous considérez comme son apogée ? C’est une question très difficile. Je n’ai vécu que sa dernière période et ne connaît les précédentes qu’à travers les films, les livres et les témoignages de ses élèves de l’époque. Mais je pense que comme pour tous les grands créateurs chaque moment est aussi riche et intense. Sa dernière année fut sans doute celle où son enseignement fut le plus concentré, allant droit à l’essentiel. Une concentration extrêmement aiguë et des gestes totalement épurés… Osenseï avait du mal à monter au deuxième étage à l’époque mais une fois qu’il pénétrait dans le dojo il dégageait une énergie phénoménale. C’était son monde, sa raison de vivre. Observer sa transformation était incroyable ! Je crois qu’on ne peut pas dire qu’il y ait eu une époque plus importante que l’autre. Chacune s’est nourrie des précédentes et Osenseï jusqu’à ses derniers instants affinait son art…   Qu’est-ce qui vous a attiré dans la pratique de l’Aïkido ? Rien ! Mon père m’a dit un jour : « J’ai observé tous les maîtres de Budo et Ueshiba est le plus grand. Tu vas pratiquer l’Aïkido. » Je n’étais pas tellement content car j’étais un adolescent classique, heureux de regarder la télévision et de ne rien faire. J’étais assez bon dans les sports de balle. J’étais très bon en base-ball, bon en basket-ball, volley-ball, toutes ces sports de balle. En ping-pong j’étais champion. Mais en gymnastique je n’étais pas bon du tout. Et l’Aïkido se rapprochait plus de la gymnastique que d’un sport de balle ! J’avais fait du Judo vers l’âge de 15 ans. C’était dans le meilleur dojo de la Police de Tokyo. L’entraînement était si douloureux que je gardais un souvenir très moyen des Budo. Mais bon, mon père m’a dit « Il faut que tu y ailles. » donc j’ai suivi son conseil et aujourd’hui je ne le regrette pas. C’était un excellent choix.   A quel moment est-ce que...

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Le combat contre soi-même (interview Toshiro Suga)

»Posté par le 11 mars 2012 in Histoire et philosophie, Toshiro Suga | 0 commentaire

    Toshiro Suga est un personnage hors-normes dans le monde des arts martiaux. Après avoir étudié auprès du fondateur et des plus grands maîtres de la discipline il est venu à son tour diffuser le message de l’Aïkido en occident. Réputé pour la puissance de ses techniques, son franc-parler et son humour très direct, il nous livre à l’occasion de la sortie-évènement de son nouveau DVD sur le jo quelques réflexions sur le travail des armes, le sens de la pratique et Moriheï Ueshiba. Senseï, vous avez étudié l’Aïkido à l’Aïkikaï auprès de Osenseï et des plus grands experts. Avec qui en particulier avez-vous étudié le travail du jo ? Le système de cotisations qui est aujourd’hui en vigueur à l’Aïkikaï était déjà le même à la fin des années soixante. Il y a la cotisation mensuelle qui couvre tous les cours du lundi au samedi, et une cotisation qui couvre ceux du dimanche. Lorsque je me suis inscrit j’ai commencé avec la cotisation simple et je pratiquais quotidiennement à l’exception du dimanche. Lorsque je suis devenu 2ème dan j’ai commencé à venir le dimanche aussi. A cette époque maître Saïto enseignait le dimanche à l’Aïkikaï, notamment le travail des armes. C’est avec lui que j’ai appris les bases. Mais le cours de maître Saïto durait depuis plusieurs années et la plupart des élèves pratiquaient avec lui depuis longtemps. Il n’y avait pas de cours débutants et j’ai eu beaucoup de mal à suivre. Heureusement un de mes sempaïs m’a aidé à étudier le kata 31. Lorsque je suis arrivé en France je ne connaissais donc quasiment que le kata 31. Par la suite c’est avec maître Chiba et maître Tamura que j’ai eu la chance d’étudier les armes. J’ai aussi regardé très souvent les vidéos de maître Ueshiba. Je ne pouvais pas me lasser de regarder encore et encore ses merveilleuses techniques. J’ai ensuite travaillé passionnément afin de polir ma technique et aujourd’hui je crois que mon travail au jo est le fruit de l’enseignement précieux de ces maîtres et de mes recherches. Y a t il d’après vous des différences entre la technique au jo de maître Ueshiba, de maître Tamura, Chiba et Saïto, et si oui lesquelles ? Je crois que leur travail est un peu différent. C’est dû à leurs morphologies. Leurs morphologies et leurs capacités physiques sont différentes et cela a naturellement influencé leur technique. Si on devait les qualifier en un seul mot je dirai que maître Saïto était puissant, maître Chiba rapide et maître Tamura souple. Bien sûr ils possédaient ces trois qualités mais c’est sans doute celle qui les définit le mieux. Cela dit j’ai eu la chance de voir le corps de nombreux maîtres et celui de maître Tamura était le plus impressionnant. Il est âgé maintenant mais dans dans la force de l’âge il possédait un physique extraordinaire. Son corps était à la fois extrèmement souple mais en même temps solide comme de l‘acier. Maître Ueshiba lui possédait à la fois une souplesse et une puissance phénoménales. C’est pourquoi sa technique de lance est plus qu’incroyable. Finalement chacun de ces maîtres a construit sa technique avec ses capacités, son caractère et en fonction de sa morphologie. C’est ce qui les rend uniques. Osenseï avait semble t il des capacités physiques asez extraordinaires. Oui. On rencontre de temps en temps des personnes extrèmement fortes. D’autres extrèmement souples. Mais il est très très rare de rencontrer des gens qui allient à la fois la force et la souplesse, surtout à un tel degré. Je pense qu’il n’y en a qu’une poignée par siècle. Maître Ueshiba avait une disponibilité extraordinaire grâce à sa souplesse. On le voit à ses poignets, ses coudes, à l’ensemble de son corps. Maître Toheï et maître Tamura sont sans doute les seuls à avoir eu une souplesse qui approchait la sienne parmi ses élèves. On rapporte aussi de nombreuses anecdotes concernant la force de Osenseï. Oui, je me souviens particulièrement de deux anecdotes que j’ai entendues de témoins directs. La première m’a été racontée par maître Kurita qui vit actuellement au Mexique. A l’époque Kurita senseï était uchi-deshi. Un arbre malade encombrait le jardin depuis un certain temps. Lorsqu’il fallut le déplacer les deux jardiniers qui avaient été appelé ne parvenaient même pas à le faire bouger. Deux uchi-deshis sont alors venus les aider. Les deux jardiniers d’un côté et les deux uchi-deshis de l’autre avaient accroché une corde à l’arbre mais ils ne parvenaient toujours pas à le déplacer. Osenseï impatienté a alors dit à Kurita et au second uchi-deshi d’aller prêter main forte aux jardiniers pendant qu’il prenait la corde de...

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Reïshiki – L’étiquette

»Posté par le 10 mars 2012 in Daniel Leclerc, Histoire et philosophie | 0 commentaire

  PREAMBULE Avant d’entamer l’étude proprement dite du REISHIKI, il ne paraît pas inutile de rappeler la différence essentielle et, pourrait-on dire, existentielle, entre le BUJUTSU, qui constitue l’ART MARTIAL à proprement parler, et le BUDO dont la traduction la plus fidèle serait DISCIPLINE ou VOIE MARTIALE. En effet, bien que chacun d’eux dispose d’un reishiki, leur finalité diffère: pour le premier, le comportement et les gestes sont conditionnés par la nécessité de pouvoir répondre instantanément et efficacement à la moindre menace, au moindre signe d’agression, alors que pour le second, du fait de ses implications non guerrières, le respect de l’étiquette est dicté par des considérations d’ordre essentiellement spirituel. Pour argumenter ce propos, nous empruntons quelques passages du livre de Donn F. Draeger: « Budo classique ». p. 37 à 41 « Le budo classique est né du remplacement de la dénomination « bujutsu » par la substitution de l’idéogramme jutsu: « art » en do: « la voie ». Une telle innovation révélait le désir de l’homme de développer une conscience de sa propre nature spirituelle à travers la pratique de disciplines qui le conduiraient à un état de réalisation de son être, du « soi ». C’est cet objectif qui est à la base de la principale différence entre les disciplines martiales qualifiées de « jutsu » et celles définies comme « do ». A l’origine, le bujutsu, ou art martial, était principalement caractérisé par des implications d’ordre technique. Cependant, durant la période Tokugawa, lorsque les exigences et le besoin des techniques de combat s’estompèrent, s’esquissa la période de « l’art » d’ « abandonner la technique », d’ « abandonner l’ego ». On parla dès lors de « do ». Le sens profond de ce terme fut clairement exprimé par Yagyu Tajima no Kami (1527-1606): « Toutes les armes conçues pour tuer sont néfastes et ne doivent jamais être utilisées, sauf en cas d’extrême nécessité. Si, toutefois, on doit en faire usage, que ce soit uniquement pour punir la malveillance, non pour ôter la vie à quelqu’un. L’entraînement est la première condition pour comprendre ce concept. Il ne s’agit pas d’une simple érudition, mais plutôt d’un passage qui nous conduit dans le lieu où l’on parle avec le maître. Le maître est le Tao, la vérité. » Quand bien même il ait la même base technique que le bujutsu, le budo classique n’a pas été créé pour être au service du guerrier sur le champ de bataille. Quelques formes de bujutsu, mais pas toutes, furent modifiées pour l’entraînement du budo et refaçonnées dans le sens métaphysique. Alors que le bujutsu accentuait l’importance de la forme pour obtenir un résultat efficace au combat, le budo utilise la forme comme moyen pour se perfectionner. L’entraînement en budo, par conséquent, visait des idéaux plus élevés que ceux du bujutsu. En prenant naissance durant une période de paix qui ne nécessitait plus de soutenir l’épreuve du combat, la majeure partie de ceux qui ont contribué au développement du budo estima qu’en renonçant aux finalités proprement guerrières du bujutsu, rien d’essentiel ne serait perdu. … Il faut toutefois comprendre que le budo ne saurait en aucun cas être envisagé comme une sorte de divertissement social, de sport ou encore de méthode pour exhiber une maîtrise de nature esthétique. Il constitue, bien au contraire, un ensemble de disciplines austères qui éprouve et éduque directement le mental et qui s’applique à la vie quotidienne au travers d’un entraînement spécifique et perdurable. En fait, le budo est une méthode concrète qui propose un modèle de comportement pour la vie et l’ « ego ». En entreprenant l’étude du budo comme divertissement ou par caprice, il est impossible d’accéder à la vraie connaissance. Le chemin du perfectionnement de soi requiert temps et sacrifice, et s’en tenir à l’enseignement imparti est plus important que d’être pressé d’y parvenir. Les fondateurs des divers systèmes du budo classique prescrivent une certaine discipline dans le but d’ouvrir les yeux de l’esprit. Une telle discipline s’apparente à une sorte de mysticisme introspectif: il n’est possible d’aborder l’expérience mystique qu’au travers une participation, une implication directe. La règle de l’implication personnelle, à laquelle obéissent toutes les disciplines classiques, ne souffre aucune exception. Le budo classique révèle son sens seulement à ceux qui s’adonnent corps et âme à un entraînement rigoureux. Pour les autres, « la voie » ou « do » – « le feu de la vérité » – ne les consumera pas et restera à jamais fermée. Mais également pour ceux qui y sont déjà entrés, beaucoup d’années d’entraînement stoïque seront nécessaires pour appréhender le vrai sens du budo classique. Les pères du budo classique considèrent que la forme est une force active de la vie quotidienne de l’homme. Ils ont choisi et adapté quelques aspects de la forme développée en priorité par les bushi traditionnels...

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Iaï, tachiaï, iaïdo, iaïjutsu…

»Posté par le 9 mars 2012 in Histoire et philosophie, Toshiro Suga | 0 commentaire

    Je vais reprendre aujourd’hui les réflexions sur l’origine des termes que nous utilisons régulièrement dans la pratique par l’analyse de iaï et ses corollaires, tachiaï, iaïdo, iaïjutsu. Je développerai ensuite en abordant brièvement l’histoire du iaï et celle des katakiuchi, vengeances du Japon traditionnel…   Iaï   « Iaï » est un mot composé de deux caractères, « i » et « aï ». Il est lui-même utilisé en combinaison pour former les mots « iaïdo » et « iaïjutsu ». Le premier kanji utilisé dans iaï, i, est composé de deux parties. La partie supérieure symbolise le corps, tandis que la partie inférieure représente une tête ou un crâne couronné, partie évoquant ce qui est ancien. Ce premier caractère évoque aussi l’idée de barrière, une barrière entourant un corps suggère alors ici l’idée… de chaise. Mais si la chaise a été utilisée en Chine depuis plusieurs siècles ce n’est pas le cas du Japon qui ne l’adopta réellement qu’à l’époque moderne. Ce premier caractère utilisé au Japon convie donc l’idée d’être assis mais… par terre. Le second kanji, aï, est le même que celui utilisé pour écrire Aïkido. Une explication de son origine est l’image d’un couvercle sur un trou. Il contient alors des notions telles qu’hermétique, superposition, unité. En Aïkido on insiste beaucoup sur la notion d’harmonie mais ce sens n’est pas si évident lorsque l’on étudie l’origine de ce caractère. En tout état de cause le sens d’unité est bien plus présent que celui d’harmonie dans sa construction. Cela peut aussi nous amener à reconsidérer le sens de notre pratique en intégrant par exemple l’idée de superposer notre ki sur celui de l’autre personne, de l’englober. Il est alors important de revoir l’origine et les différentes significations possibles de ki, terme que nous avons déjà étudié dans un précédent numéro. « Au », qui devient « aï » dans les mots composés, est donc la rencontre, la superposition, l’unité même temporaire de deux choses, deux sabres dans le cas de la pratique martiale.   Tachiaï   Si iaï véhicule l’idée du combat assis, « tachiaï » est son pendant, le combat debout. Tachiaï est aussi composé de deux caractères. Le premier, tachi, représente un homme debout. Le second est le même que le deuxième caractère de iaï. Tachiaï est un terme qui est aujourd’hui surtout utilisé en Sumo et désigne la charge initiale entre les combattants. Il est aussi présent dans le nom de nombreuses techniques martiales, notamment en Daïto ryu.   Iaïdo, Iaïjutsu   Iaï est un terme qui nous intéresse surtout parce qu’il forme la première partie des mots Iaïdo et Iaïjutsu, disciplines que nombre d’entre nous étudient ou ont étudié. Nous avons déjà abordé le, caractère do, qui signifie voie. Jutsu signifie quand à lui technique. La différence entre les budos et les bujutsus est un débat qui occupe les chercheurs martiaux. Je crains que ce soit malheureusement une question sans issue définitive puisque le même mot peut recouvrir des conceptions différentes selon le maître qui l’emploie. Pour simplifier nous dirons que le Iaïjutsu insiste plus sur la finalité technique tandis que le Iaïdo, sans renoncer à la cohérence martiale, porte plus son attention sur le fait d’éduquer l’homme. Techniquement le Iaïdo consiste à dégainer et couper, généralement dans le même geste. Comme nous l’avons vu le terme iaï évoque entre autres le fait d’être assis. Le Iaïdo comprend ainsi, bien que cela puisse varier selon les écoles, un très grand nombre de katas qui débutent dans cette position et qui forment la base de la discipline. A l’origine le iaï semble avoir été pratiqué exclusivement en position debout. C’est au cours des siècles que les différentes écoles ont peu à peu intégré le travail à partir de la position assise, suivant en cela le courant de l’histoire. En effet si au départ les techniques ont été élaborées en temps de guerre, la longue période de paix de l’ère Edo créa une situation où les combats étaient de plus en plus des attaques surprises et de moins en moins des confrontations de type duel. Les traditions martiales s’adaptèrent donc aux circonstances les plus fréquentes. Un grand intérêt du travail assis est que les contraintes supplémentaires amènent le pratiquant à développer des capacités qui rendent ensuite le travail debout bien plus aisé. En ce sens la logique est la même qu’en Aïkido ou Daïto ryu. Une étude des denshos, rouleaux de transmission technique des écoles traditionnelles, révèle que les techniques de dégainage représentaient environ 30% du cursus. Le reste était consacré au kenjutsu, les techniques de combat le sabre une fois dégainé. Cela est tout à fait logique dans la mesure où les écoles anciennes avaient un objectif pragmatique, assurer la survie de...

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Gojo, les cinq vertus de Confucius

»Posté par le 9 mars 2012 in Histoire et philosophie, Toshiro Suga | 0 commentaire

  L’influence du Shintoïsme ou du Bouddhisme dans les arts martiaux japonais est parfaitement connue. Par contre, celle du Confucianisme est souvent mésestimée. Toshiro Suga nous révèle aujourd’hui l’importance majeure de cette pensée dans l’histoire japonaise et plus particulièrement dans la caste des samouraïs…   Lorsque la rédaction de Seseragi m’a demandé d’expliquer quelques termes utilisés en Aïkido à travers l’analyse de leur kanji je l’ai fait avec plaisir en précisant que mes écrits devaient être considérés comme des pistes et non des vérités absolues. Certains lecteurs ayant été intéressés par ces tentatives d’explications la rédaction m’a demandé de continuer cette rubrique. Je m’attelle à présent à des aspects spirituels et historiques que j’estime liés à notre pratique. Mais je tiens encore une fois à préciser qu’il ne s’agit que de mon interprétation. J’ai consacré ma vie à l’Aïkido et je suis un pratiquant et non pas un historien ou un philosophe. L’analyse des sujets que je vais aborder sera donc limitée par mes connaissances. Je vous prie donc d’avance de m’excuser pour toute erreur éventuelle et vous conseille d’approfondir vos recherches dans des ouvrages spécialisés si une notion évoquée vous intéresse. Le Japon a connu de nombreuses luttes de pouvoirs entre seigneurs. La plus grande période de guerre civile prit fin en 1615. Dès lors le Japon connut pendant plus de 250 ans la plus longue ère de paix de l’histoire de l’humanité. Mais comment les Tokugawa ont-ils réussi à préserver la paix après cinq siècles de guerre civile ?   Une époque à l’éthique fluctuante   Le Japon a été unifié grâce au combat de trois hommes, Oda Nobunaga, Toyotomi Hideyoshi puis Tokugawa Ieyasu. Ieyasu avait comme tout conquérant le désir de voir se perpétuer sa lignée. Il pouvait pour cela faire appel à la force et l’intimidation et il ne s’en est effectivement pas privé, gardant par exemple les familles des seigneurs dans une situation de quasi-otages. Mais tout déploiement de force amène le ressentiment et porte en lui-même les racines de sa destruction. C’est pourquoi Ieyasu agit subtilement en s’attaquant à la racine du problème, l’éthique des samouraïs. Au Japon l’importance du nom est plus encore qu’ailleurs portée à son paroxysme et un clan ne trouve de signification que dans sa survie. Cinq siècles de guerres acharnées avaient développé un instinct de survie extrêmement puissant et l’on peut dire que la pérennité du clan finit par tout justifier dans cette époque troublée. Les trahisons se succédaient et personne n’y voyait rien à redire dans la mesure où le clan en sortait grandi ou au moins préservé.   Une école de la loyauté   Le confucianisme était arrivé dans l’archipel entre le 3e et le 6e siècle. Cette école de pensée qui devint quasiment une religion en Chine garda son essence au Japon où elle servait principalement à développer l’esprit moral et enseigner la conduite juste qu’un homme devait adopter. Le génie de Tokugawa fut d’élever le Confucianisme en doctrine d’état, soumettant le gouvernement et la société à ses préceptes. Le plus important à ses yeux étant probablement l’interdiction de servir deux maîtres dans une vie… En quelques années le Confucianisme prit une importance grandissante. Tout samouraï s’adonnait à son étude et ses enseignements se propagèrent très rapidement dans la société. Les valeurs confucianistes furent reprises dans la conduite du gouvernement, mais aussi dans les domaines de l’art et des arts martiaux. Le confucianisme restera une doctrine d’état durant toute l’ère Edo et sera un des fondements de la stabilité du shogunat des Tokugawa. Il imprégna définitivement l’âme japonaise au plus profond d’elle-même.     Gojo: Jin, Ghi, Rei, Chi, Shin   L’enseignement de Confucius repose sur les gojo, les cinq vertus que doit posséder et cultiver l’homme véritable.   Jin : la bonté, l’amour, la fraternité L’idéogramme de jin est composée de deux parties. La partie de gauche symbolise un homme debout, celle de droite signifie deux. Ce kanji symbolise l’absence de conflit et l’harmonie parfaite.   Ghi : la droiture, la justice Cet idéogramme est aussi divisé en deux parties. La partie haute symbolise un mouton. Celle du bas une arme de guerre, et par extension « moi », son porteur. Dans l’antiquité le mouton était le sacrifice le plus prestigieux que l’on pouvait offrir. Ce kanji symbolise la possession et par extension la justice.   Rei : la bienséance, la politesse Cet idéogramme est composé de trois parties. La partie de gauche représente un autel. Elle porte la signification de « présentation ». La partie supérieure de droite représente une décoration. La partie inférieure représente une fève de soja. La signification d’origine de ce kanji est celle de l’abondance d’esprit. Finalement elle...

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